Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
LETTRES PARISIENNES (1840).

et puis aussi quand personne n’écoute, ce qui aide beaucoup à la conversation. L’hiver, il est facile d’être aimable ; ce qui est difficile, c’est de ne l’être pas. Il y a cependant des gens qui parviennent à vaincre cette difficulté. Mais dans la belle saison, mais l’été… qu’il est rare d’être réellement beau, réellement bon, réellement spirituel ! L’été est impitoyable, il nous fait subir d’horribles épreuves.

Première épreuve : l’arrivée au château. — Être pendant toute une matinée le monsieur qu’on attend au château… Se sentir l’objet des questions de toutes les personnes qui ne vous connaissent point. « Quel est le monsieur que vous attendez demain, ma nièce ? Est-ce un jeune homme ? — Oui, c’est M. ***. — Ah !… est-il parent du général de ce nom ? — C’est son fils. — Sans doute, il est tout dévoué à ces gens-ci ? — Il espère être bientôt nommé secrétaire d’ambassade. — Fort bien, est-ce qu’il faudra nous gêner devant lui ? — Non, ma tante, vous pouvez dire du mal de qui vous voudrez sans qu’il vous contredise ; c’est un mécontent. — A-t-il de l’esprit ? — Dans le monde on lui en trouve beaucoup. — Comment est-il ? — Ni beau ni laid ; mais il a l’air très-distingué. — Je vois ce que c’est, dit la tante en elle-même, c’est un petit sot que ma nièce trouve charmant… » Sur ce, le monsieur qu’on attend arrive ; il tombe dans une réunion imposante s’il en fut jamais : sept femmes qui font de la tapisserie, un ami de la famille qui fait l’aimable. À peine l’arrivée du nouvel hôte est-elle pressentie, que tous les rôles se dessinent par une affectation particulière. Les jeunes personnes s’empressent de s’enfuir, affectant d’être effarouchées. L’ami de la famille, qui prévoit que son règne est fini et qu’on va s’occuper d’un autre, prend avec un dépit mal dissimulé sa casquette pour aller se promener dans le parc, affectant une discrétion malveillante. La jeune femme à la mode, qui est depuis quelques jours au château, plie lentement son ouvrage en examinant le nouveau venu et en se demandant s’il mérite qu’elle mette pour lui sa robe neuve ; au premier coup d’œil, elle a reconnu qu’il était lui-même un homme à la mode, elle a deviné aussi qu’il était en coquetterie avec la maîtresse de la maison ; alors son parti est pris, elle se pose à elle-même cette proposition : « Plaire à ce