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LE VICOMTE DE LAUNAY.

On ne pouvait passer par la place de la Concorde ; je pris la rue du Faubourg-Saint-Honoré ; les nouvelles qu’on recueillait çà et là étaient effrayantes. On disait : « L’hôtel de ville est au pouvoir des insurgés… Tel général vient d’être blessé… Tel officier vient d’être tué… » Les figures étaient pâles, les regards inquiets ; tout respirait la guerre civile. Dans ce long trajet, je n’ai surpris qu’un sourire, mais ce sourire était bien triste ; je ne l’oublierai jamais. Deux jeunes filles cherchaient à retenir un petit garde mobile : « Viens avec nous, disait l’une d’elles, ne retourne plus là-bas, on en a assez tué des tiens aujourd’hui… » C’est alors que l’enfant sourit. « Eh bien, répondit-il, c’est justement parce qu’il en manque qu’il faut que j’y aille. » Il secoua les mains des deux jeunes filles et s’en alla en courant. Pauvre enfant ! qu’est-il devenu ? Est-il aussi de ceux qui manquent ?

J’allai jusque chez ma sœur, qui demeure dans la Chaussée d’Antin, mais là je me sentis tellement malade et fatiguée, qu’il ne me fut pas possible de penser à aller plus loin ; tout ce que je pus faire, ce fut de revenir chez moi. J’étais bien contrariée de n’avoir pas vu M. de Girardin. Cependant, j’espérais toujours aller le voir le lendemain ; mais le lendemain j’étais encore plus malade, et il me fallut rester sur mon canapé toute la journée. Je devais dîner chez une de mes amies ; je lui écrivis que j’étais à moitié morte et que je ne pouvais marcher… — Je donne tous ces détails pour expliquer l’exaltation fiévreuse que me causa la nouvelle de l’arrestation de M. de Girardin.

Je l’appris par ce premier billet :

« À MADAME DE GIRARDIN.

» Ma chère amie, je suis arrêté et conduit à la Conciergerie. Demande une permission.

 » É. de Girardin.
 » Le 25 juin 1848, 5 heures du soir. »

Ce premier billet ne tarda pas à être suivi de ce second :