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LETTRES PARISIENNES (1848).

chants joyeux par des bataillons d’hommes intelligents, surpasseraient en grandeur, en orgueil, les plus fameux édifices de l’antiquité, élevés par des milliers d’esclaves courbés sous le fouet des tyrans.

Les arts, excités par tant d’audace, prendraient aussi des proportions gigantesques, en harmonie avec les monuments et les institutions. Un public immense et vivace ferait trouver des effets merveilleux.

Ce ne serait plus ce parterre de dandys éreintés, à la fois ignorant et blasé, qui a tant de peine à se distraire de lui-même ; ce serait un parterre amusable, impressionnable, sincère, des esprits naïfs à passionner, de vrais cœurs à faire battre, du vrai sang à faire circuler dans les veines, à chaque idée noble, à chaque beau sentiment. Un tel public donnerait du génie aux plus incapables. Oui, l’on verrait bientôt tous les arts se transformer, grandir, s’élever, par un essor inconnu : la musique glorifiant et poétisant le travail ; la peinture réhabilitant la beauté et généralisant le haut style ; l’industrie s’associant avec la charité pour démocratiser le bien-être ; on verrait quels miracles peut accomplir l’esprit humain dans l’ère de la générosité.

Ah ! que la république serait belle, belle sans les républicains !…

En attendant, Paris est fort triste. Ceux qui ne l’ont pas vu depuis trois mois ne le reconnaîtraient plus. Dans ses plus riches quartiers, il ressemble à une ville maudite, une Gomorrhe menacée, ayant reçu en secret l’avis de sa prochaine destruction.

Les beaux appartements des grands hôtels sont déserts : on se réfugie à l’entre-sol ou au second étage, dans des chambrettes ignorées, plus en harmonie avec les mœurs du moment. On aime mieux vivre en citoyen modeste, dans un petit salon bien rangé, que de languir en grand seigneur ruiné dans un appartement splendide et mal tenu. On n’invite personne ; on vit en ermite. Chacun a envoyé son argenterie à la Monnaie, le prix a servi à payer les dettes de l’hiver ; on mange avec des métaux de fantaisie, jusqu’à ce jour inconnus ; ces métaux étranges, pour l’originalité de la teinte et le hasard de la