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LETTRES PARISIENNES (1848).

corrompu. Et ils l’ont avili par un semblant de travail ridicule ; ils en ont fait des personnages de comédie, des comparses de ballets, des villageois d’opéra-comique, chantant le chœur d’exposition : « Travaillons avec courage ! » en baissant et en relevant en cadence leurs pioches et leurs bêches de carton. Ils ont fait plus, et cela sera leur honte éternelle !… après l’avoir fait travailler pour rire, ils l’ont fait mendier pour tout de bon. Un beau jour on a vu… à ce souvenir nous rougissons encore, la main nous tremble en écrivant cela… on a vu le noble peuple de France traverser solennellement la capitale de la France, promenant une grosse caisse à argent sur les boulevards, tendre aux passants des corbeilles, d’osier ornées de rubans tricolores, et demander à chacun d’eux l’aumône pour le gouvernement provisoire !… Et ils ont appelé cela le lendemain, dans leurs journaux, une superbe manifestation !… Oh ! les malheureux !… déshonorer ainsi une grande nation !… On leur confie un peuple de travailleurs, ils en ont fait un peuple de paresseux !… on leur confie un peuple de héros, ils en font un peuple de mendiants !…

Mais connais-les donc enfin, ô peuple ! comprends-les donc, juge-les donc par ce seul trait de leur histoire où le mensonge de leur patriotisme s’est révélé forcément. Leur imposture tout entière est écrite dans l’union monstrueuse de ces deux mots : Ils t’ont fait mendier… ils t’ont fait mendier, ô peuple ! et ils t’appellent le peuple-roi !

Dérision cruelle, impudente ! Non, tu n’es pas le peuple-roi ! tu es encore ce que tu as toujours été, l’instrument courageux d’intrigants poltrons, une meute héroïque, la meute des ambitieux. Leur procédé est toujours le même : c’est avec le sang des pauvres qu’ils demandent l’argent des riches. Ils te lancent dans l’arène par des phrases excitantes comme des fanfares, et ils se tiennent en embuscade pour en attendre l’effet. Sais-tu ce qu’ils faisaient, tes défenseurs élégants, pendant que tu combattais sur les barricades avec tant d’ardeur ?… Ils te regardaient combattre en cachette ; et, collant leurs pâles figures sur les vitres de leurs fenêtres, ils comptaient froidement les coups que tu recevais pour eux.

Leur double plan était prêt d’avance. Toi vaincu, ils te