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LETTRES PARISIENNES (1848).

— Non, non, trois fois non, elle n’est pas impossible ! Rien ne serait plus facile, au contraire, que de faire la république grande et belle ; il ne faudrait pour cela qu’une seule chose.

— Et quoi donc ?

— La comprendre…

Mais, hélas ! ceux qui l’ont proclamée ne la comprennent pas !

Et la preuve qu’ils ne la comprennent pas, c’est qu’ils ne la font pas aimer ; c’est qu’ils la rendent ridicule, mesquine, vaniteuse, au lieu de la faire puissante, sérieuse et digne.

C’est qu’ils en font une parodie monarchique, un envers de la royauté ; c’est que, par exemple, ils font tirer le canon chaque fois qu’ils se remuent. Le canon est un joujou de roi, qui ne convient plus aux allures calmes et populaires d’une république. Nous comprenons, à la rigueur, qu’on s’amusât à tirer le canon quand Charles X ou Louis-Philippe se rendaient au Parlement ; ils étaient les petits-fils de Louis XIV et de Henri IV ; ces pompeux usages pouvaient être des traditions de famille ; mais faire tirer le canon des Invalides chaque fois que M. Crémieux se dérange… Allons donc ! c’est se moquer d’un pays.

La preuve qu’ils ne comprennent pas la république, c’est qu’ils veulent la loger aux Tuileries.

La preuve qu’ils ne la comprennent pas du tout, c’est qu’ils se pavanent dans les hôtels des ministères avec le superbe entourage de leurs prédécesseurs, faute impardonnable qui trahit leur inintelligence et qu’on ne saurait trop leur reprocher. Les ministres d’une république ne doivent ressembler en rien aux ministres de la royauté. Ce ne sont plus des importants payés très-cher pour jeter de la poudre aux yeux et distribuer de l’eau bénite ; ce sont des hommes d’affaires consciencieux, les intendants de la nation, les économes du peuple qui ne jouent pas avec son argent ; tous ces hochets d’antichambre ne sauraient leur convenir. Leur prestige est dans leur simplicité. Plus de traitements ruineux, plus de cérémonial de comédie, plus d’huissiers à chaîne d’or, plus de laquais, plus de carrosses, plus de cuisiniers séducteurs..

Vous aimez tant les Anglais, imitez-les donc. Que nos