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LETTRES PARISIENNES (1847).

la réforme a eu lieu hier vendredi ; on cite avec amertume le nom de deux convives récalcitrants. Ce banquet sera suivi de plusieurs autres : on a dîné pour la réforme électorale, on dînera bientôt pour la liberté commerciale ; avant la fin de l’année, on aura mangé sur toutes les questions. Étrange manière de mûrir les idées ! — Quand une idée est trop lente à germer, on se réunit et l’on mange du veau froid en son honneur, comme dit Alphonse Karr. Le veau froid est l’aliment de la politique moderne ; le peuple, qui meurt de faim, se sent rassasié dès que ses amis dévoués mangent du veau froid en son nom.

Aussi un jeune penseur de nos amis affirme-t-il qu’en France, aujourd’hui, on ne connaît plus que deux divinités, deux veaux sacrés : le veau d’or et le veau froid. Le veau d’or, c’est la fortune ; le veau froid, c’est la popularité ; ceux qui ruinent le pays, dit-il, sacrifient au veau d’or ; ceux qui flattent le peuple sacrifient au veau froid ; ceux qui font des romans de pacotille sacrifient au veau d’or ; ceux qui font des romans sociaux sacrifient au veau froid. Il y en a même de bien habiles qui trouvent le moyen de sacrifier à tous les deux en même temps.

Les mariages de la semaine dernière étaient des plus pompeux ; les trousseaux, déployés avec orgueil, faisaient l’admiration des femmes élégantes. La mode est toujours de porter des flots de dentelles, la moindre robe étale des cascades de volants ; le barége léger, et d’un prix modeste, se prête volontiers à ces excès. Les mantelets sont de toutes couleurs, gros bleu, vert, rose, lilas ; on voit des spencers et des caracos fort amusants ; mais la nouveauté par excellence est une espèce de canezou inventé par madame Marie et imité du costume pittoresque des femmes d’Odessa ; ce canezou, ou plutôt cette veste, se fait en cachemire de couleur brodé d’or ou d’argent. Madame Marie en fait aussi en mousseline des Indes soutachée, très-gracieuses et très-distinguées. C’est au bal de Vincennes qu’il y avait de jolies parures. Nous n’y étions pas, mais M. Théophile Gautier, qui assistait à cette fête, vous dira demain tout ce qu’on en peut dire.