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LE VICOMTE DE LAUNAY.

s’imaginer et prouver qu’il s’agit d’une conspiration !… On déchire la page et l’on recommence : « À ce soir, je compte sur vous. » Ô folie ! une femme qui écrit à un homme : « Je compte sur vous ce soir… » Cela aussi peut être bien mal interprété ; un esprit prévenu pourrait découvrir dans ce seul mot des abîmes d’inconvenances… On déchire encore cette page avec effroi… Ainsi on va au-devant de toutes les suppositions, et pendant une heure, on corrige, on rature, on déchire, on brûle tous ces poulets dangereux, étourdiment commencés. On prévoit toujours le moment où ces maudites lettres pourront être communiquées aux Chambres, et l’on ne se préoccupe plus en les écrivant, comme autrefois, d’être galant, léger, spirituel, persuasif, éloquent, charmant ; on ne se préoccupe plus que d’une seule chose aujourd’hui en griffonnant ses petits billets du matin, c’est d’être parlementaire.

Les personnes qui demeurent dans les environs de l’hôtel des Capucines sont plus alarmées que les autres, elles n’écrivent plus une lettre sans frémir ; elles prétendent que les affidés de M. le ministre des affaires étrangères sont dressés à dérober les correspondances affectueuses du quartier : dès qu’une réponse se fait attendre, les accusations pleuvent de tous côtés ; les voisins et les voisines, menacés dans leurs plus chers secrets, sont exaspérés et décidés à user de représailles à la première occasion. Que diriez-vous alors, monsieur le ministre, si l’on venait à surprendre et à publier un de vos plus gracieux billets du matin ?… Ah ! l’on découvrirait beaucoup de choses, plus d’une question politique s’éclairerait tout à coup, car vos séduisantes amies vous parlent très-souvent politique malgré vous, et si l’on en croit certain bruit, elles tiennent moins à être bien aimées qu’à être bien informées. C’est une idée… affreuse… autrefois, mais aujourd’hui ça réussirait !… Ô délire du pouvoir dans les ambitions mesquines ! Pour végéter ministre et vivre au jour le jour, faire une action éternellement laide !… Et cela s’appelle un historien !

Quand on ne parle pas de révolution prochaine, on parle de noces et de banquets. Dans le monde élégant on se marie, dans le monde politique on dîne. Un banquet en l’honneur de