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LETTRES PARISIENNES (1847).

reuses, et il s’adresse à des professeurs d’égoïsme !… Ô naïveté sans pareille ! Quand on veut dessécher un marais, on ne fait pas voter les grenouilles !

Paris est encore agité des derniers orages parlementaires ; les salons politiques ont la physionomie sombre, maussade et faussement tranquille des grandes places de petites villes quinze jours après les élections ; les gens qui jadis s’abordaient en se tendant la main se lancent des regards furieux et se saluent avec rage ; d’anciens amis passent à côté l’un de l’autre sans avoir l’air de se connaître ; des parents évitent de se parler ; tout le monde est sur ses gardes. On sent bien que la lutte n’est pas terminée ; personne encore n’a déposé les armes. Nous qui ne craignons qu’une seule chose au monde, les ennuyeux, nous entrevoyons avec plaisir que nous perdrons au moins trois ou quatre ennuyeux à la bataille ; tout nous fait espérer qu’ils ont passé à l’ennemi. C’est double chance ! L’ennemi les aura chez lui, et nous, nous ne les aurons plus chez nous. Hélas ! chacun a ses ingrats sur terre ! Quel bonheur, alors, de découvrir que vos ingrats sont précisément parmi vos ennuyeux !

Ce qui rend le souvenir de cette lutte durable, c’est le mystère qui environne encore certain côté de la question ; on n’oublie vite que ce qu’on a compris tout de suite ; mais les choses inexpliquées vous reviennent à l’esprit souvent, malgré tout. Et que de choses là dedans n’ont pas été expliquées !

Vous ne sauriez imaginer quelle influence ces querelles politiques exercent encore sur la société parisienne, et particulièrement sur les correspondances intimes… On n’ose plus s’écrire.

On n’ose plus s’écrire… Sérieusement, on hésite avant d’envoyer les moindres billets ; on a peur de faire de la politique sans le savoir. Depuis que les lettres confidentielles se lisent tout haut à la tribune avec des commentaires qui en détruisent complètement la signification, on n’a plus aucun abandon dans le commerce épistolaire. À peine a-t-on tracé quelques mots, on s’arrête : « Soyez prêt ce soir à huit heures, nous irons vous chercher. » Il s’agit d’une partie de spectacle… Mais quelle imprudence ! les malveillants pourraient