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LE VICOMTE DE LAUNAY.

nomme égalité ; nous avons toujours déclaré, au risque de lui déplaire, que l’égalité était une injustice, qu’un paresseux n’était point l’égal d’un travailleur, que le niveau universel promis par les philosophes était un mensonge ; mais si nous ne croyons pas que tous ceux qui sont en haut doivent descendre, nous croyons que beaucoup, parmi ceux d’en bas, doivent monter ; si nous ne croyons pas au nivellement par l’envie, nous croyons à l’égalité par l’éducation. Nous ne voulons pas que les forts disent aux faibles : « Espérez ; nous travaillons à devenir chétifs comme vous ; » nous ne voulons pas que les hommes instruits et intelligents disent aux ignorants stupides : « Rassurez-vous, nous tâcherons d’oublier ce que nous savons, et nous vous promettons d’être, avant peu, ignares et stupides comme vous… » Nous voulons que les forts disent aux faibles : « Fortifiez-vous, et vous serez des nôtres ; » nous voulons que les gens instruits et intelligents disent aux ignorants : « Éclairez votre esprit par l’étude, agrandissez votre âme par la pensée, brisez, torturez votre nature comme nous par l’éducation, et, loin de vous renier, de vous repousser avec dédain y nous serons les premiers à vous dire : Venez à nous. »

Se peut-il que les hommes d’État de nos jours ne sentent pas que l’heure de la politique généreuse est enfin venue, et qu’ils ne reconnaissent pas la stérilité de leur égoïsme ? Mais il n’y a plus d’hommes d’État ; il y a des hommes qui font leurs affaires à propos des affaires de l’État, et tant que leurs affaires sont bonnes, ils ne peuvent pas s’apercevoir que celles de l’État sont mauvaises. Des gens si contents de leur sort n’éprouvent pas le besoin du progrès ; il ne faut donc rien espérer de leur ambition sordide, de leur inintelligente personnalité. Notre confiance était une chimère, et M. de Lamartine avait bien raison lorsqu’il disait à M. de Girardin, il y a quelques années : « N’attendez rien du parti conservateur ; il n’admettra jamais vos idées de réforme ; laissez-le s’user, et ne vous usez pas avec lui. » En effet, c’était de la folie, nous le reconnaissons maintenant : M. de Girardin a entrepris une tâche impossible. Il veut souffler l’esprit de réforme… et il s’attaque à des gens qui vivent d’abus ! il veut prêcher des concessions géné-