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LETTRES PARISIENNES (1847).

au monde que des députés qui puissent demander la croix pour des vaudevillistes ? Ce ne sont pas les poëtes qui auront jamais de ces idées-là ! Non, non !

Mais c’est encore un malheur que l’on plaise aux députés en glorifiant le vaudeville ! Ces législateurs attardés ne comprennent rien au mouvement intellectuel qui s’opère dans le pays ; ils font décorer des messieurs, auteurs de couplets grivois, et ils ne daignent même pas remarquer de simples ouvriers : ces maçons, ces tonneliers, ces menuisiers, auteurs de poésies admirables. Ce n’est pas un symptôme pour eux que cette dignification du peuple par les lettres, que cet amour de l’étude qui fait chaque jour de nouveaux progrès. Si vous leur parlez du poëte-maçon de Toulon, de Charles Poney, ils se mettent à rire dédaigneusement, et, pour vous confondre, ils citent ce vieux vers :

Soyez plutôt maçon, si c’est votre talent.

— Mais, dites-vous, c’est aussi son talent de faire des vers, puisqu’il les fait excellents.

— Eh bien, c’est un original, et voilà tout.

— Un original ? Non, car il y a beaucoup d’autres ouvriers qui ont, comme lui, un talent remarquable : un tonnelier, nommé Germiny, a publié dernièrement un poëme ravissant intitulé : le Val de la Loire ; il y a un laboureur des environs d’Arras qui fait aussi des vers charmants ; il y a Savinien Lapointe, poëte énergique et menaçant ; il y a encore…

— Ah ! quel bataillon de poëtes ! Les Muses doivent être bien fières d’avoir tant de nourrissons parmi les ouvriers ; mais nous autres, nous n’avons pas le temps de lire les poésies fugitives des maçons et des tonneliers ; nous ne venons pas à la Chambre pour nous occuper de poésie.

— Il ne s’agit pas de poésie, c’est de la politique, cela… Oui, c’est une question politique très-grave, et malgré votre gros dédain, il vous faudra bien trouver une autre manière de gouverner un jour ce peuple et ce pays où les maçons, les tonneliers, les menuisiers sont déjà plus littéraires que vous.

Certes, on ne nous accusera jamais de flatter le peuple, nous ne l’avons jamais bercé de ce beau rêve d’envieux qu’on