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LETTRES PARISIENNES (1847).

gloire ; les affaires sont faites en leur nom, ou plutôt ne sont pas faites en leur nom : intérêts généraux, diplomatie, administration, agriculture, beaux-arts, tout est immolé à la nécessité de les séduire, à la crainte de les irriter. Vous ne décidez aucune chose, pour les nourrir d’espérance, tous et toujours. Vous appliquez avec conscience ce beau système de coquetterie ministérielle, de minauderie administrative, que M. Villemain appelait, il y a une vingtaine d’années, si spirituellement et si plaisamment : « Le grand système du bec dans l’eau. » À cette époque, il ne prévoyait pas qu’il serait ministre.

Applications de ce système :

Tel changement dans tel poste diplomatique est-il jugé indispensable et de la dernière urgence ?… vous l’ajournez… Pourquoi ? Parce que dix députés convoitent ce poste pour un parent, pour un ami, pour eux-mêmes, et que vous êtes forts de ces dix espérances. Une nomination définitive, qui ne ferait qu’un heureux, peut-être un ingrat, mettrait neuf désespoirs contre vous : cela vous épouvante… Vous retardez la nomination : le poste reste sans chef, les affaires languissent, l’intérêt de la France est abandonné, mais vous avez dix voix pour vous ; que vous importe la France ?

Tel préfet aux abois vous écrit pour demander son changement ; sa position n’est plus tenable ; il a agi avec trop d’ardeur dans les dernières élections ; il s’est mis à dos le tribunal, le clergé, ou tout autre pouvoir ; il avoue lui-même qu’il ne peut plus rien pour le bonheur de son département. Vous le laissez gémir, vous ne tenez aucun compte de ses gémissements, et pourtant vous sentez qu’il a raison ; vous en convenez avec lui… Mais un remaniement dans les préfectures, en ce moment, est impossible, lui dites-vous ; le moindre changement éveillerait tant de prétentions, et la moindre chose décidée déciderait tant de mécontents ! nous ne ferons rien cette année… Et le préfet, désappointé, se morfond ; le département, encore troublé de la lutte, se déchire ; les affaires s’arrêtent ; tout va de travers… Sans doute ; mais les députés votent avec ensemble, rien ne vient troubler la douceur de leurs faux rêves, ils espèrent et ils votent, et ils votent parce qu’ils espèrent, et vous les entretenez éternellement dans ces