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LE VICOMTE DE LAUNAY.

ce qu’il y a de certain aujourd’hui, c’est que les ministres constitutionnels semblent n’avoir qu’un seul devoir à remplir : se faire une majorité à tout prix ; la grandeur du pays, le bonheur du peuple, le progrès de la civilisation, tout cela leur est indifférent : une belle majorité compacte, docile, aveugle et bien disciplinée, c’est leur seul rêve. À quoi leur servira-t-elle ? — À rester. — Que lui demanderont-ils ? — Rien, que de croître et de multiplier.

Car le grand malheur de notre temps, c’est que tous nos ambitieux aiment le pouvoir pour lui-même ; et le pouvoir est peut-être la seule chose dans ce monde qui ne gagne pas à être aimée ainsi. Aimer le travail pour lui-même, cela est noble ; aimer l’art pour lui-même, cela est grand ; aimer le sacrifice pour lui-même, cela est sublime… mais le pouvoir !… c’est honteux. Monter sur le faîte, non pas pour y voir de plus haut et de plus loin le destin des hommes, mais pour y languir oisif, pour s’y pavaner niaisement, c’est une ambition d’infirme que nous ne pouvons pas comprendre. Quoi ! vous voulez la force, et vous n’avez rien de difficile à accomplir ! Vous voulez l’éclat, et vous n’avez rien de beau à faire briller au jour ! Vous voulez le concours de tous, et vous n’avez aucune idée généreuse à faire triompher ! Vous voulez être ministres, et vous ne tenez pas à être d’illustres ministres comme Sully, Richelieu, Colbert ! Vous voulez être des ministres de charade et de Gymnase, comme Klein et Ferville dans les vaudevilles de Scribe ! Vous voulez être ministres uniquement pour avoir le droit de tenir un portefeuille rouge sous le bras, pour avoir le plaisir d’être cajolés par quelques vieilles intrigantes, pour avoir l’honneur d’être appelés « Monsieur le ministre » par des importuns et des laquais ! L’admiration du monde n’est pas votre rêve ; vous vous contentez de l’envie des sots, et vous restez là, satisfaits d’être là, n’ayant d’autre pensée que de vous y maintenir, d’autre souci que d’empêcher vos rivaux d’y arriver. En vérité, vous êtes des ambitieux bien modestes, et c’est à ce pauvre désir, à cette ambition si petite, que vous sacrifiez les grandes destinées d’un grand pays ! Dans ces trente-cinq millions d’habitants, vous ne comptez que deux cent vingt-cinq hommes. Vous vivez par eux et pour eux ; leur plaire est toute votre