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LE VICOMTE DE LAUNAY.

et avec qui elle avait causé chiffons, Opéra, bals, courses, tout le temps de sa promenade aux Champs-Élysées.

Un soir enfin, et cette fois c’était l’épreuve décisive, comme le jeune voyageur allait retourner chez lui, il vit venir une jeune femme. Quel bonheur ! elle était si belle ! Elle s’avance vers le milieu du pont d’un air distrait ; tout à coup, elle s’arrête : ce n’est pas une illusion, ses beaux yeux sont fixés sur l’horizon, c’est le soleil quelle regarde, c’est bien lui qu’elle admire ! Ô Dieu ! soyez béni ! comme tout dans ses traits charmants trahit son admiration profonde ! comme son âme poétique se révèle tout entière à l’aspect de cette merveille ! quel enthousiasme, et comme elle est triste aussi dans son admiration ! il semble qu’elle-même s’écrie en son cœur : « Se peut-il que je sois là seule à admirer !

— Non, tu n’es pas seule, je suis là, et pour toi ! » dit le jeune homme ; et il s’avança vers elle, joyeux, empressé. Mais, pendant qu’il marchait pour la rejoindre, la jeune femme était montée sur le parapet et déjà elle avait disparu dans les flots. C’était une pauvre fille séduite qui venait mourir… On la sauva ; mais elle avait voulu mourir pour un autre, il ne pouvait vivre pour elle.

Ainsi une seule femme avait admiré le soleil, c’était celle qui venait lui dire adieu.

Le jeune homme n’est pas encore marié.


LETTRE SEPTIÈME.

La révolution de 1848 pressentie. — Les ouvriers-poëtes. — Les professeurs d’égoïsme et les rêveurs de réformes. — Quand on veut dessécher un marais, on ne fait pas voter les grenouilles. — M. Guizot, ministre, lisant à la tribune une lettre confidentielle ! — Comment on gouverne la France. — Le veau froid et le veau d’or.
11 juillet 1847.

Oh ! que c’est ennuyeux ! encore des révolutions !…

Depuis quinze jours on n’entend que des gémissements politiques, des prédictions sinistres ; déjà les voix lugubres prononcent les mots fatals, les phrases d’usage, formules consacrées, présages des jours orageux :