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LE VICOMTE DE LAUNAY.

là-dessus, les militaires se sont mis à conspirer ; ils ont changé de drapeau pour prouver qu’ils avaient au moins deux idées ; il y en a même qui sont allés jusqu’à trahir leur pays, sous prétexte qu’ils étaient des baïonnettes intelligentes.

On a beaucoup ri aussi de la pauvreté des poëtes, et les poëtes se sont lassés de la misère, bien qu’elle fût très-poétique. Alors ils se sont mis à travailler pour de l’argent, c’est-à-dire qu’ils se sont réduits à n’écrire que de la prose, en donnant pour excuse cette affreuse parole : « Que voulez-vous, les vers ne se vendent pas ! » Et vous avez eu des romans au lieu d’avoir des poëmes ; mais eux ils se sont pavanés dans des salons au lieu de se renfermer dans des greniers, et ils ont dormi sur des divans au lieu de rêver sur des grabats.

On a reproché aux comédiens de parler et de marcher d’une façon particulière, c’est-à-dire de ne point bredouiller en parlant et de se tenir droits en marchant, d’avoir l’air d’acteurs enfin. Là-dessus, les comédiens se sont occupés de politique et d’agriculture ; les plus ingénieux ont même affecté de ne pas étudier leurs rôles, pour n’avoir pas l’air d’acteurs hors de la scène.

Nous pourrions passer en revue encore bien d’autres professions gâtées et presque perdues par tant d’injustes reproches ; mais ce sujet est vaste, et il nous entraînerait trop loin. Nous ferons seulement cette remarque, parce qu’elle nous paraît assez plaisante : l’émancipation du médecin coïncide avec l’anéantissement du perruquier !… Chose étrange… Suivez bien cette inconcevable transformation. Le médecin passe homme du monde… le perruquier passe coiffeur. — Le médecin s’égaye… le perruquier-coiffeur s’attriste. — Le médecin cause, babille… le perruquier-coiffeur devient muet. Le médecin est au courant de tout, il vous rapporte vingt nouvelles ; le perruquier-coiffeur ne sait plus rien, car il ne veut plus rien savoir. Lui aussi, on l’a accablé de reproches. On a fait des vaudevilles contre sa gaieté, on l’a accusé d’être spirituel entre tous les hommes, on l’a traité de bavard amusant ; il a bien été contraint, lui aussi, de se corriger. Se permettre d’avoir de la gaieté dans une si grave profession, fi donc ! Il a senti tout ce qu’il y avait d’inconvenant dans cette causerie