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LETTRES PARISIENNES (1847).

mée, et même, en l’apprenant, elle n’aurait jamais l’idée de sauter par la fenêtre si le paysage qu’on découvre de cette fenêtre est beau, si, dans sa prison, rien ne vient troubler la liberté de sa pensée, si son âme peut déployer ses ailes à toute heure pour s’envoler dans l’espace vers les pays rêvés, pour rejoindre et suivre en idée dans leurs actions les personnes aimées.

Elle pourrait vivre en prison seule !… Que serait-ce donc si elle devait y demeurer avec un jeune homme charmant qu’elle adorerait ? Quand on est amoureuse du geôlier, il n’y a pas grand mérite à supporter patiemment la prison… Mais les femmes à imagination poétique sont rares ; et d’ailleurs, à quels signes, à quels symptômes peut-on les reconnaître à Paris ? Les cherchera-t-on au bal ? Alors aurez-vous la cruauté de choisir, parmi les jeunes filles qui s’amusent franchement au bal, celle à qui vous voulez défendre d’y aller jamais ? Les chercherez-vous dans les réunions plus intimes, parmi ces jeunes pensionnaires modestes, rangées symétriquement autour de la table à thé, et qui restent là, soumises, silencieuses, immobiles, les yeux baissés sur des petits gâteaux ? Est-ce poétique cela ?… Peut-être. Mais où est le symptôme qui doit révéler la poésie ? Comment induire en poésie ces jeunes âmes si prosaïquement voilées ? Comment savoir si ces Galatées de salon peuvent s’éveiller à la vie ? Quel piège tendre à leur prudente naïveté ? N’est-il pas un moyen de les forcer à s’exprimer malgré elles ? N’est-il pas un sanctuaire, un lieu privilégié, comme le palais de la Vérité, où leur naturel puisse rayonner sans crainte, où leur flamme ose éclater et briller ?…

À l’église, sans doute !… Oui, c’est là ; leur imagination, exaltée par la prière, brise les liens du monde… Là, leur physionomie redevient sincère ; le secret de leur pensée se trahit dans leurs regards levés vers les cieux… Allons les chercher à l’église ; c’est profane, mais le bonheur sera l’excuse… Folle démarche ! profanation inutile… À l’église, toutes les femmes ont l’air méchant ; leur regard n’exprime que la colère… on leur marche tant de fois sur les pieds, on leur donne tant de coups de coude, elles y éprouvent un si