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LETTRES PARISIENNES (1847).

relle, parce qu’elle a intérêt à supprimer et à changer sa nature ; on sera ennuyeuse, parce qu’elle est ennuyeuse…

Eh ! mon Dieu, voilà déjà que nous-même nous cherchons à arrondir notre phrase ; déjà son influence se fait sentir, elle commence par nous. C’est affreux !

Vous ne vous apercevez donc pas de cette triste métamorphose ! comme depuis quelque temps, depuis deux ans, pas plus, les Françaises se changent en poupées ! comme tout devient mesquin, précieux et cependant pompeux et solennel dans leurs manières ; comme les physionomies se compassent ! comme avec de petites idées on a de grands airs ! Et ces belles étrangères, qui sont là, si nobles, si calmes, si naturellement dignes, comme elles viennent cruellement faire ressortir notre petitesse prétentieuse et notre futilité agitée ! Les Françaises sont donc bien humbles, qu’elles travaillent à se dénaturer ! elles sont donc bien mécontentes de ce qu’elles sont, qu’elles se donnent tant de peine pour paraître autre chose ! La vanité les perd, l’orgueil les sauverait. Que faire pour les rendre orgueilleuses ?

Voici une histoire qui ne confirme que trop nos jugements sévères ; le héros de cette histoire nous l’a racontée lui-même ; c’est un de nos amis, un jeune homme très-spirituel et très-romanesque… — Ne vous récriez pas, n’ouvrez pas de grands yeux à ce mot ; rien de plus vrai ; il n’y a aujourd’hui que les jeunes gens très-spirituels qui aient le courage d’être romanesques… — Après de longs voyages, il revenait en France, tout joyeux de revoir son pays et tout ému de l’idée qu’il allait vivre enfin… car voyager, ce n’est pas vivre ; c’est chercher, c’est étudier, c’est promener son rêve : ce n’est pas encore travailler à le réaliser.

Ordinairement, les voyageurs rapportent de leurs excursions lointaines l’insouciance et le doute ; lui, rapportait la volonté et la foi : il croyait au bonheur, et il était résolu à le trouver. N’oublions pas de vous dire que cet heureux entêté avait à peine vingt-deux ans ; à cet âge, la foi est robuste, et comme on n’a pas encore eu l’occasion de vouloir bien souvent ni bien fortement, surtout comme on n’a pas eu l’occasion de se repentir d’avoir voulu, on croit à la volonté.