Elles ont une susceptibilité de sensitive : tout les blesse, et la délicatesse de leur esprit est telle, qu’elles voient partout des monstres. Dans les choses les plus innocentes que vous leur dites, elles comprennent des choses affreuses… des choses affreuses auxquelles, vous, vous ne pensiez pas ! Rougissez-en, cela prouve que vous n’en avez pas peur comme elles.
Mais, dira-t-on, ce sont des prudes. — Non ; au contraire, il est permis de leur parler de tout, mais dans un certain jargon et en grasseyant d’une certaine façon. — Alors, ce sont des précieuses. — Les précieuses ont plus de distinction et plus d’esprit ? Non ; ce sont des femmes d’une nature commune et d’une éducation bourgeoise, que les caprices du sort ont poussées au premier rang, et qui, se voyant tout à coup livrées à elles-mêmes dans une sphère inconnue, n’ayant pas l’instinct du noble et du beau comme les natures d’élite, n’ayant pas non plus la tradition comme les femmes d’une haute naissance, improvisent au hasard, sans renseignements, sans donnée aucune, sans goût natif, sans intelligence éclairée, une espèce de code d’élégance, une étiquette de fantaisie particulière, exceptionnelle, mais qui deviendra bientôt le code universel, l’étiquette généralement adoptée, si les grandes dames, les véritables élégantes, les jeunes femmes bien élevées et distinguées, les femmes comme il faut, ne protestent avec nous, courageusement, constamment, hautement, contre l’influence fatale, contre les arrêts illégaux de ces bourgeoises sucrées. Nous voulons bien qu’on nous donne le ton ; mais, quand le ton est faux, nous avons le droit de réclamer.
Et cela est triste à dire, les bourgeoises sucrées aujourd’hui donnent le ton presque en toutes choses : en littérature, par le théâtre ; en peinture, par les portraits, les tableaux de genre ; en musique, par des chansonnettes, des fauvettes, des brunettes intolérables ; il n’est pas jusqu’à la grâce française, la beauté nationale, qui ne soit dénaturée par leur influence. Elles jouent à la madame : cela force toutes les femmes à se mettre de la partie, et toutes ressemblent à des gravures de modes. Plus de frais sourires épanouis ; plus de regards francs et naïfs, plus de tournure libre et gracieuse ; cette folle préoccupation de dignité crispe les plus charmants visages, roidit