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LE VICOMTE DE LAUNAY.

mable, séduisant, passionné ; il suffit d’être érudit et de leur décrire à propos ce que le héros de leur roman favori dit à l’héroïne qui est leur modèle. Jeunes soupirants, aspirants, prétendants, ne perdez pas vos jours en vœux naïfs, en regards suppliants. Voulez-vous être aimés, entrez dans un cabinet de lecture, demandez de l’encre et du papier, et copiez tranquillement la page décisive de l’ouvrage que vous entendez citer le plus souvent ; page 204, tome II, copiez lisiblement, espérez. Elle attend la dernière période pour être attendrie ; votre bonheur est au verso de la page ; vous n’aurez pas soupiré… c’est-à-dire copié en vain.

Ces femmes littéraires ont encore une manie qui nous est plus insupportable. Qu’elles soient littéraires en amour, tant pis pour l’amour ; mais elles sont littéraires en religion, c’est plus triste. Elles emportent à l’église de petits albums barbouillés de leur propre main, où sont recueillis les passages frappants des auteurs que leur foi préfère. Oh ! que nous aimons cent fois mieux une grande niaise qui emporte avec elle à la messe tout bêtement l’Évangile ! Mais à ces femmes éclairées, le saint Évangile ne suffit pas ; elles ne le trouvent pas assez littéraire. Madame Roland emportait de même à l’église les Grands Hommes, de Plutarque ; aussi toute sa vie s’est ressentie de l’influence de cet étrange livre de piété. Si elle avait préféré l’Évangile, quelle différence dans sa destinée ! Plutarque lui a enseigné l’orgueil, le Christ lui aurait enseigné l’humilité ; Plutarque lui a inspiré la haine et la vengeance, le Christ lui aurait inspiré l’amour et le pardon ; les héros de Plutarque ne savent que tuer, le Christ ne sait que mourir. C’est bien malheureux pour la France que mademoiselle Philippon ait eu une piété si littéraire.

Mais le secret de sa rage n’est pas là, et trois lignes de sa biographie nous révèlent le fond de son cœur :

« M. Roland avait déjà, parcouru la Suisse et l’Italie, quand il fit, en 1784, avec sa femme, un voyage en Angleterre. L’ayant envoyée à Paris à son retour pour solliciter des lettres de noblesse, mais sans succès, il obtint, par elle, sa translation à Lyon, ce qui la rapprochait de son pays et de sa famille. ».