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LETTRES PARISIENNES (1840).

de nous envoyer dans l’autre monde avec des adieux inintelligibles… Comme on a ri de leur lourde perruque et de leur canne à pomme d’or ! Que de fois on a dit : « Le pédant docteur ! l’ennuyeux docteur ! le lourd disciple d’Hippocrate ! » Ces épigrammes n’auraient plus de sens aujourd’hui, que nos plus amusants causeurs sont nos médecins. Comment ne pas se divertir de leurs piquantes anecdotes contées avec tant d’esprit ; mais aussi comment prendre au sérieux les ordonnances d’un médecin si amusant ! On oublie de lui expliquer ses souffrances en l’écoutant. On n’ose pas l’interrompre dans ses récits, même par un cri de douleur : il ne vous guérit pas de vos maux, mais il vous en distrait, c’est toujours cela ; et puis, il vous raconte une opération si habile, il vous dépeint un phénomène médical si extraordinaire, que votre insignifiante névralgie, votre vulgaire gastrite vous paraissent bien peu de chose auprès de tels accidents. Vous oubliez presque d’en parler, ou du moins vous omettez vingt détails qui pourraient éclairer le médecin sur votre mal et l’aider à vous en soulager, tant vous avez peur de perdre un mot de sa conversation. Oh ! les médecins ne sont plus d’ennuyeux docteurs aujourd’hui ; ils sont au contraire très-aimables, hélas ! trop aimables ; et en cela ils sont plus cruels que leurs prédécesseurs, car s’ils vous laissent mourir comme eux, ils vous font bien amèrement regretter une existence que leur intéressant entretien vous rendait si agréable.

On a reproché aux militaires leur obéissance passive ; on s’est moqué des exigences de la consigne, des rigueurs de la discipline, de l’abnégation stupide du soldat : on n’a pas senti ce qu’il y avait de sagesse dans cette institution admirable de l’armée, et ce qu’il y avait d’égalité et de justice dans la hiérarchie militaire qui fait que, depuis le caporal jusqu’au lieutenant général, chacun peut se dire : « Obéissons aujourd’hui avec conscience, comme je voudrai qu’on m’obéisse demain. » On a répété aux militaires qu’ils étaient des machines qu’on faisait mouvoir pour le bon plaisir de quelques-uns. On leur a crié : « Vous êtes des enfants sans caractère, sans volonté ; vous ne pensez point, vous n’agissez point par vous-mêmes ; vous êtes des sots qui n’avez pas deux idées dans la tête ! » Et