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LE VICOMTE DE LAUNAY.

demandent pourquoi de beaux talents, qui marchaient jadis avec eux, se sont séparés de leur cause !… C’est qu’ils l’honoraient trop pour la défendre ainsi ; ils ont mieux aimé noblement désespérer d’elle que de la compromettre et de la souiller par des expédients honteux ; ils ont compris que les partisans tuaient la cause, et ils ont rompu avec eux par intérêt pour elle. Qui sait s’ils n’attendent pas en secret, avec la patience de la foi, la ruine heureuse de ce parti fatal, le licenciement de ces troupes mal inspirées, pour la voir renaître un jour, cette cause, plus puissante que jamais, apparaissant tout à coup à l’horizon politique dans son éclat nouveau, comme un astre subitement dégagé de vapeurs funestes, et rayonnant enfin des vérités éternelles qui font sa force ?

Ils accusent aussi l’illustre auteur des Girondins d’avoir déifié madame Roland ; il parle de son génie, de sa beauté. Sans doute c’était une belle femme, qui avait assez de génie pour jouer un grand rôle ; mais, à travers ces éloges pompeux, comme on devine sa secrète antipathie !

On peut faire d’un héros ou d’une héroïne un portrait extrêmement flatteur, et cependant ne pas admirer personnellement ce héros ou cette héroïne. Il y a des qualités qu’on vante de bonne foi, mais qu’on déteste ; et madame Roland avait justement toutes ces qualités-là ; de même nous vanterons son courage, son génie, son ardente charité ; mais nous avouerons que cette sublime intrigante est précisément le type de femme qui nous est le plus particulièrement odieux. Madame Roland, ou plutôt Jeanne Philippon, car il ne s’agit pas de la femme politique, est, à nos yeux, l’origine de cette effrénée race de pédantes que nous avons appelées les femmes littéraires, c’est-à-dire des femmes faites avec des livres ; ces femmes, qui mériteraient d’être reliées plutôt qu’habillées, agissent non pas d’après leur nature, mais d’après leurs lectures ; si elles n’avaient pas lu tel in-octavo, elles n’auraient pas aimé tel jeune homme ; si tel roman avait été dépareillé dans la bibliothèque de leurs mères, elles n’auraient pas fait tel mariage.

Ainsi, mademoiselle Philippon ne se marie point selon son cœur, mais dans le genre de la Nouvelle Héloïse. Il y avait