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LETTRES PARISIENNES (1847).

sergents de ville qui causent entre eux, tel est Longchamp en 1847. Mais, patience, dans huit jours l’aspect des Champs-Élysées changera ; alors paraîtront les superbes attelages, les voitures nouvelles, les chapeaux à la mode ornés de plumes et de fleurs, les longues robes de taffetas rose, bleu de ciel, lilas, balayant généreusement la poussière des allées, les mantelets garnis de rubans et de franges, les ombrelles garnies de dentelle, toutes les merveilles du printemps. D’ici là, vous ne verrez que de bons manteaux de velours, de longs châles de cachemire bien strictement fermés : il a fait un froid si désagréable ! Mais, en compensation, vous ne verrez que de petits chapeaux de crêpe, chapeaux du soir qu’on finit le matin ; ils ne sont pas tout neufs, ils ont fait plus d’une visite, ils ont entendu plus d’un concert. Ces panaches ont un peu trop flotté, ces saules ont déjà beaucoup pleuré ; tant mieux, c’est ce qu’il faut, c’est une des plus grandes mortifications du carême : le jeûne des parures. Une femme qui mettrait un chapeau neuf pour aller entendre un sermon de M. l’abbé Cœur serait à l’instant condamnée et perdue. Chaque effet a son jour, chaque jour a son heure ; tout le secret de la vie est là.

Le monde parisien n’est occupé en ce moment que de deux choses : de sermons pieux et de discussions politiques ; malheureusement, le calme apporté dans l’âme par les uns ne sert en rien à adoucir les passions soulevées par les autres ; jamais on n’a tant disputé, jamais on n’a tant crié. L’apparition des Girondins réveille toutes les fureurs des partis, cela devait être, ce livre est une révolution ; c’est un présage, c’est un symptôme, c’est un décret peut-être !… Car ce n’est pas sans raison que Dieu a permis à un tel homme d’écrire un tel livre. L’âme du poëte est une lyre sublime que le souffle divin fait vibrer, elle n’est pas responsable de ses accords. Quand nous voyons les idées d’une époque s’incarner dans un homme de génie, quelle que soit notre répugnance pour ces idées, nous nous attristons avec respect ; inquiet mais résigné, nous disons : Il faut que ces idées, que nous redoutons comme dangereuses, soient nécessaires, et qu’elles servent les mystérieux desseins de Dieu, puisqu’il charge une de ses plus dignes créatures de les propager, puisqu’il n’inspire à aucun autre génie rival le