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LE VICOMTE DE LAUNAY.

calme de leurs manières, par la simplicité de leurs mœurs : ils étalent à Paris un luxe asiatique, ils se logent comme des princes et se permettent tous les plaisirs élégants. Ah ! vraiment, les notaires ne sont plus tristes aujourd’hui ; il y en a même qui s’égayent jusqu’à faire faillite… amusement nouveau, étourderie charmante que leurs graves et pesants confrères ne se seraient jamais permise autrefois.

Que nos pères avaient raison et qu’il y avait de sagesse dans leurs préjugés ! Savez-vous pourquoi ils voulaient que les notaires fussent graves dans leur maintien et modestes dans leurs habitudes ? pourquoi on leur imposait ces privations du luxe ? pourquoi le sybaritisme de la vie mondaine leur était interdit ? C’est d’abord parce que ces dehors respectables inspiraient la confiance ; mais c’est surtout parce que la nécessité de cette existence régulière éloignait de cette profession tous ceux qui l’auraient déconsidérée, tous les étourneaux, tous les vaniteux, tous les intrigants, tous les paresseux, tous ceux enfin qui vivent de fantaisies et de plaisirs, et pour qui ces privations étaient des exigences impossibles. Dans ce temps-là, chaque profession était un habit dans lequel on ne pouvait entrer que si l’on avait la taille, la tournure, l’esprit et le caractère de cet habit ; aujourd’hui, les professions sont des paletots qui ne sont faits pour personne et qui vont mal à tout le monde.

Les juges étaient graves aussi, et certes ils en avaient le droit : n’importe, on leur a reproché cette gravité ; on leur a fait un ridicule de leurs manières compassées, et les juges, fatigués de ces inconvenants mais flatteurs reproches, ont voulu aussi se corriger. Les uns se sont faits brillants et facétieux, les autres coquets et gracieux ; il y en a qui se sont améliorés au point de devenir des hommes à bonnes fortunes. Autrefois, on séduisait ou du moins on essayait de séduire ses juges ; aujourd’hui, ce sont les juges qui séduisent.

Et ces pauvres médecins ! que n’a-t-on pas dit de leur air doctoral et de leurs manières empesées ? Molière ne s’amusait que de leur ignorance ; mais le monde, qui cependant croyait en eux, se moquait de leur gravité. On les accusait de faire étalage de leur savoir, de n’employer que des mots baroques, et