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LE VICOMTE DE LAUNAY.

maintenant, il est à la mode en carême ; il y a deux ans, il était gras, aujourd’hui il est maigre… Nous ne voulons pas dire pour cela qu’il ait maigri, nous ne faisons point de calembours ; nous voulons encore moins lui dire des choses désagréables ; nous ne disons pas qu’il est maigre comme un coucou, mais comme les poules d’eau et les sarcelles… qu’on nous pardonne ce stupide jeu de mots ! Cette grande faveur dont jouit le spirituel comique dans le monde religieux d’abord paraît étrange, mais elle s’explique glorieusement. Levassor, depuis six semaines, a chanté trois ou quatre fois dans des concerts de charité ; il est donc tout simple que les grandes dames de charité, qui étaient les patronnes de ces concerts et qui sont les fondatrices des œuvres de bienfaisance au profit desquelles ces concerts étaient donnés, se montrent reconnaissantes envers les talents généreux qui les ont aidées dans leurs bonnes œuvres. Levassor a chanté à l’Hôtel de ville, devant l’assemblée des Crèches. Pendant le concert, on a fait une quête, et cette quête improvisée a produit huit cents francs. Nous disions tout à l’heure : Quand on vient d’être un peu méchant, on est si bon ! de même, quand on vient de bien rire, on est tout de suite prodigue. Si on pouvait amuser un avare, on le ruinerait. Levassor a chanté aussi pour la Société de la Providence, et, nous devons le déclarer, ce concert-là est le plus brillant de la saison. Les cantatrices étaient madame Ugalde-Beaucé et madame Sabatier. Que d’applaudissements, quel succès ! Mademoiselle Cathinka de Dietz a joué un duo de piano avec M. Lacombe : élégance et perfection, ces deux mots se répètent tout bas pendant qu’on écoute mademoiselle de Dietz. Léon Lecieux a joué aussi admirablement. Quelqu’un, le vantant beaucoup, s’écria : « Quel talent facile et merveilleux ! il est sur le violon de première force. Eh bien, il joue avec tant de grâce et d’aisance, qu’on le prendrait pour un amateur… » Comparaison fallacieuse !… Mais les amateurs ne jouent ni avec aisance ni avec grâce ; au contraire, les malheureux ! ils sont dans un état horrible, ils ont chaud, ils sont rouges, ils font des grimaces affreuses, ils ont l’air de possédés, d’enragés, d’épileptiques… et si on leur pardonne le supplice qu’ils vous font endurer, c’est en considération de celui qu’ils