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LETTRES PARISIENNES (1847).

et les privations ordonnées ; ainsi elles vont au bal, elles y dansent, mais elles y jeûnent ; si le bal a lieu un samedi, elles se privent de gâteaux et de glaces jusqu’à minuit ; après minuit, c’est dimanche… Quelques-unes, plus ingénieuses, se permettent les glaces aux fruits : les glaces aux fruits sont considérées comme une boisson ; mais jamais elles ne se permettraient les glaces à la crème… oh ! jamais ! le lait étant généralement considéré comme une nourriture. Elles dansent… mais elles ne se permettent pas non plus toutes les danses : il y a les danses des jours gras et les danses des jours maigres ; ne confondez pas. Cela ressemble au joli mot de la duchesse de M… On parlait d’un bal d’artistes qui devait être donné aux Variétés. « Dans la salle des Variétés ? demanda quelqu’un. — Non, pas dans la salle, répondit une autre personne ; on ne dansera que dans le foyer, à cause du carême. — Ah ! dit la duchesse, le foyer est maigre ? »

Ces subtilités vous paraissent puériles, peut-être ; nous les trouvons pleines de grâce. — Ce sont des niaiseries. — Ce sont des scrupules !… et les scrupules, en toutes choses, sont si rares aujourd’hui, qu’il faut estimer, respecter ceux qui se produisent encore, même sous la plus petite forme. Tant de gens manquent à leurs devoirs si franchement, si hardiment, qu’on doit savoir gré à ceux qui s’ingénient à trahir les leurs avec délicatesse et mystère. Capituler avec sa conscience ! mais cela prouve déjà qu’on a une conscience, ou du moins qu’on prétend avoir une conscience, et c’est toujours ça.

Parmi les plaisirs innocents tolérés dans ces jours de retraite, il en est un fort apprécié, que vous ne devineriez pas… — Une lecture de tragédie ? — En carême, cela serait très-naturel, ce plaisir-là est capable d’en expier bien d’autres ! Non, c’est quelque chose d’amusant. — Un quatuor ? — Non. — Deux quatuors ? — Non. — Trois quatuors ? — Je vous dis que c’est amusant. — Ah ! je devine : ce sont des tableaux ? — Vivants ! quelle horreur ! — Des tableaux non vivants ? — Ce n’est pas cela. Dans ce qu’on appelle le faubourg Saint-Germain pur, pendant les saints jours de carême, dans les réunions les plus collet monté, on fait chanter Levassor ! Il y a deux ans déjà, Levassor était tout à fait à la mode, mais pendant le carnaval ;