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LE VICOMTE DE LAUNAY.

mais on nous met de force la plume à la main : alors il faut bien nous résigner et nous consoler un peu de l’ennui d’écrire par le plaisir de dire au moins notre pensée. Dire ce qu’on pense, exhaler son indignation, cela fait du bien, cela calme l’esprit et soulage le cœur ! Le lendemain du jour où l’on a écrit toutes ses malices, on est si bon ! Et puis, en disant nettement notre pensée, nous espérons toujours qu’on nous accusera de compromettre le journal, qu’on se révoltera contre nous et qu’on finira par nous remercier. L’autre fois, nous nous flattions en secret, et voyant l’effet produit par le dernier feuilleton, nous rêvions déjà le silence, c’est-à-dire la liberté ; nous disions avec un joyeux sourire : C’est un scandale ! — C’est un succès ! nous a-t-on répondu sans pitié ; et, loin de nous congédier, loin de nous faire taire, on nous a demandé un feuilleton nouveau. C’est désespérant ! nous avons beau être insupportable, on nous agrée !… On ne peut pas plaire à tout le monde, dit-on ; il y a longtemps que cela est connu ; mais il paraît qu’on ne peut pas non plus déplaire à tout le monde, hélas !

Le monde parisien a, depuis quinze jours, deux physionomies bien contraires. D’un côté il rit, de l’autre il pleure ; d’un côté il danse, de l’autre il jeûne ; dans le monde philosophique, les bals sont plus nombreux pendant le carême qu’ils ne l’étaient pendant le carnaval ; dans le monde méthodiste, les concerts et les routs sont seuls permis. Quelques Anglais établis à Paris imitent les philosophes : ils donnent des fêtes ; mais la société russe, toujours de bon goût, se règle sur les usages des salons austères et s’abstient de tous plaisirs bruyants ; et de sa part c’est généreux, car, nous l’avons déjà dit, le calendrier russe n’a aucun rapport avec le nôtre : peut-être bien que les Russes sont, à l’heure qu’il est, en plein carnaval ; c’est aujourd’hui samedi, peut-être que c’est leur mardi gras !… On se rappelle l’amusante colère de M. de N…, qui prétendait, il y a deux ans, que la jolie princesse R…in… avait refusé de le recevoir un lundi, au milieu du mois de juillet, parce que, ce jour-là, c’était le vendredi saint.

Il y a des merveilleuses qui vont tour à tour dans les deux mondes, et qui savent adroitement concilier les plaisirs défendus