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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Des princes aux poëtes, il n’est pas besoin de transition, et nous attaquerons sans préambule Alexandre Dumas. Nous lui en voulons affreusement pour son imprudence et pour son étourderie. Venir plaider sa cause lui-même, quelle idée ! Un poëte qui va se réfugier dans le temple de la chicane… mais c’est comme un oiseau qui irait s’abriter dans une machine pneumatique ! L’atmosphère d’un tribunal est funeste à qui la respire pour la première fois ; il faut être né là dedans pour pouvoir y vivre ; et tous ces avocats malicieux qui vous écoutent, et qui ne pensent qu’à vous déconcerter et à vous prendre en défaut, et qui tout bas murmurent à vos oreilles : « Il a tort, il ne pourra pas s’en tirer, il ne connaît pas le terrain ! c’est un public à part. Ces messieurs croient qu’ils peuvent se passer de nous, ils verront ; il va gâter son affaire, le voilà qui se perd complètement… » et mille propos de ce genre qui vous font enrager dans l’âme et auxquels vous ne pouvez répondre ; il y aurait de quoi faire perdre la tête à de plus intrépides qu’Alexandre Dumas, si toutefois il en est de plus intrépides : aussi a-t-il perdu la tête, et comme il était dans la patrie des indiscrétions, dans ce sanctuaire très-sonore où se trahissent tous les secrets de la vie intime, où se révèlent les infortunes conjugales, où se lisent tout haut, sans pudeur, les plus mystérieuses lettres d’amour ; comme il était dans un endroit où tout se dit, il a cru pouvoir tout dire, et il s’est oublié jusqu’à répéter les bienveillantes paroles d’un jeune prince, jusqu’à dévoiler les flatteurs projets d’un ministre, le seul peut-être qui depuis quinze ans se soit inquiété de la gloire des lettres et du sort des écrivains en France ! Ce crime est impardonnable : il n’est pas plus permis de raconter au public les choses confidentielles que vous ont dites à vous seul un prince dans son palais, un ministre dans son salon, que de répéter à tout le monde les choses aimables que daigne vous dire une jolie femme dans son boudoir ; oh ne doit pas plus compromettre ses protecteurs que ses protectrices.

On ne doit pas compromettre, non plus, ses confrères ; et quand on est, comme Alexandre Dumas, un des maréchaux de la littérature, on devrait se soucier un peu plus de la dignité du corps littéraire qu’on représente. Les imbéciles et les niais