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LETTRES PARISIENNES (1847).

Les pompiers faisaient leur devoir, et l’ardeur du feu se compliquait de leur propre ardeur, qu’il fallait aussi modérer. Ils frappaient à coups redoublés dans un panneau du salon, c’était leur droit : la poutre voisine était embrasée, mais ils ne s’étaient pas informés de ce qu’il y avait derrière ce panneau. Ils frappaient, sapaient consciencieusement, et un magnifique tableau de Murillo s’ébranlait déjà sous leurs coups. À cet aspect, M. de Nieuwerkerke se récrie, l’artiste s’émeut ; il jette un regard d’admiration sur le chef-d’œuvre en péril comme pour lui promettre assistance ; puis il court demander une échelle, et bientôt, aidé du prince de Craon et de quelques fervents amateurs, il parvient à mettre en sûreté cette merveille sans prix. L’action est louable ; cependant il y avait, dans le zèle empressé du célèbre sculpteur, dans ces angoisses tout exceptionnelles, une intention qui n’était peut-être pas très-flatteuse pour les assistants. Cet empressement semblait leur dire : « Grillez tous, ça m’est bien égal, on vous recommencera vous autres ; mais on ne recommencera jamais un Murillo… »

Pendant que les pompiers démolissaient le premier salon, devinez ce qu’on faisait dans la salle du bal… On dansait ! Madame de Lagrenée, cette voyageuse intrépide qui a su donner aux femmes de l’Afrique et de l’Asie une si belle idée du courage des femmes européennes, avait, la première, proposé bravement une valse, et l’orchestre jouait une valse, avec accompagnement du sapeur obligé. Cette musique vive et joyeuse et ces coups furieux étaient un mélange infernal que Musard aurait apprécié. Seulement, les concertants auraient dû s’entendre : les pompiers n’avaient pas répété le matin. Ils accompagnaient au hasard. « C’est insupportable ! disait le jeune Charles de M… Je vais leur dire de frapper en mesure ; moi, ça me gêne pour valser. « 

Ici nous devons rendre justice à l’orchestre de la fête et proclamer que sa conduite, pendant toute cette épreuve, a été sublime. Au milieu de ce désordre, de ce bruit, il est resté immobile dans sa vaste corbeille de fleurs ; aspirant l’odeur très-désagréable de la fumée, toussant comme tout le monde, toussant même en cadence, car à lui, on n’avait pas besoin d’aller lui dire d’aller en mesure, sans essayer un seul mo-