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LE VICOMTE DE LAUNAY.

épouser ! Il entend chanter un gondolier… Un gondolier dans une forêt !… à Babylone !… N’importe, les libretti nous ont accoutumés à des choses plus étranges que celle-là. Arrive un pèlerin qui n’est autre qu’un rival déguisé. Un duo s’engage entre le tyran et le pèlerin ; rien ne peut vous donner une idée du comique, de l’esprit et de l’italien de ce duo ; il est impossible de faire une parodie plus charmante et d’une malice plus délicate. Le tyran ne dit, pendant un quart d’heure, que ce seul mot : Parlate ! sur tous les tons et pendant les modulations les plus heureuses et les plus variées. Le pèlerin veut toujours répondre, mais le tyran lui coupe sans cesse la parole en lui criant son éternel Parlate ! Parla… a… a… te ! par… la… te !… parla… te ! — Enfin le pèlerin parvient à dire qu’il est un pèlerin ; mais lui aussi ne dit pas autre chose ; et le tyran, fatigué de cette monotone reprise, lui dit en italien : Voi rabachate, amico ! Sur ce, Clorinda arrive ; elle reconnaît Orlando : son émotion la trahit : elle chante un air réellement et sérieusement très-beau, dont les paroles, bizarrement italiennes, sont fort plaisante. Les deux rivaux s’insultent comme dans tout véritable opéra italien ; ils sortent pour aller se battre, et la princesse devient folle, comme c’est aussi l’usage dans tout véritable opéra italien. Au second acte, Clorinda vient chanter un grand air avec accompagnement de chœurs. Le libretto s’exprime ainsi : « Elle est pâle et défrisée d’un seul côté, ce qui semble indiquer qu’elle recouvrera la raison. » Cette scène de folie est admirable : la musique ferait pleurer, si les paroles ne faisaient pas tant rire ; on est ému, transporté, tant il y a de désespoir et de passion dans ce chant lamentable. Mais la princesse, au fort de sa douleur, s’écrie : Sono touta defrisata !… Alors on ne peut plus garder son sérieux et l’on applaudit l’esprit au moment où l’on admirait le plus l’inspiration. Si nous ne devons plus entendre l’Incendio di Babilonia, nous proclamerons samedi prochain que le poème est de M. *** et la musique de M. ***. Un ouvrage aussi rempli de talent et d’originalité ne saurait plus longtemps rester ignoré.