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LE VICOMTE DE LAUNAY.

commença à courir de salon en salon. « Ce n’est rien, disaient les hommes sages ; les calorifères étaient trop chauffés ; on a voulu les éteindre, on a jeté de l’eau, de là vient la famée. » Mais à chaque coup de hache donné dans le mur, des langues de feu sortaient avec violence, et la fumée, qui commençait à se colorer de tons roux assez effrayants, augmentait toujours.

Déjà dans le premier salon on était asphyxié, une toux générale avait remplacé les conversations ; doux propos d’amour, discussions politiques, conjectures diplomatiques, combinaisons littéraires, flatteries, médisances, taquineries, malices, tout se confondait dans une quinte unanime. On s’inquiétait bien un peu, mais on riait encore. Tout à coup des cris de terreur partent d’un groupe de femmes, et les voilà toutes qui s’envolent comme des colombes effrayées ; elles perdent la tête, elles courent, elles courent sans savoir ce qu’elles font, sans comprendre où elles vont ; elles n’ont point de manteau sur les épaules ; elles n’ont pour tout abri qu’une couronne de fleurs sur le front ; elles ont les bras nus et presque les pieds nus ; elles descendent dans la cour, renversant dans leur fuite les vases qui ornent l’escalier ; elles franchissent cette cour, toute remplie de voitures ; elles errent par les rues, dans l’eau, dans la boue, à travers les chevaux qui se cabrent, au milieu des cochers qui jurent : ces pauvres femmes sont si épouvantées, qu’elles n’ont peur de rien. Mais enfin d’où vient leur effroi ? Le feu a-t-il fait des progrès ? quelqu’un est-il blessé, brûlé ? quelle vue terrible les a fait fuir si follement ? — La vue des pompiers ! — Tant qu’il n’y a eu que M. de B… cognant sur le mur avec une petite hache domestique, jetant de l’eau dans le calorifère, aidé des gens de la maison, elles sont restées là à le regarder travailler sans crainte ; mais sitôt qu’elles ont aperçu les pompiers, qui arrivaient en masse, il est vrai, armés de leurs grandes haches de sapeur, elles ont compris qu’il y avait incendie et elles ont perdu la raison. Nous avons éprouvé, nous, une impression toute contraire ; nous nous sommes promptement rendu compte de la situation ; nous nous sommes dit ceci : D’un côté, nous voyons au plus trois ou quatre flammes ; de l’autre, nous comptons déjà cent pompiers. Observons ce qui va se passer, et tant que les pompiers con-