Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
407
LETTRES PARISIENNES (1847).

remercie. » Et huit jours après, la malheureuse mère se promène dans Paris, précédée de ses trois filles : elle est coiffée d’un affreux cabriolet de velours épinglé vert-myrte, d’une envergure démesurée. Les trois filles, graves et tristes, ont sur la tête quelque chose d’informe, de velours épinglé blanc ; un épouvantail qui ne ressemble à rien, si ce n’est à une charrette de blanchisseuse. La petite duchesse passe auprès d’elles, coiffée d’un petit chapeau ; elle aperçoit cette honnête famille induite en erreur par sa méchanceté ; elle regarde audacieusement ses victimes, les salue avec beaucoup de grâce et se cache dans le fond de sa voiture en éclatant de rire. Voilà ce que sont les femmes en 1847. Elles vous disent aussi : « On ne porte cette année que du damas, le satin n’est plus du tout à la mode ; et hier, chez madame l’ambassadrice d’Angleterre, toutes les élégantes avaient des robes de satin : madame d’Ist… avait une robe de satin bleu, sa sœur une belle robe de satin rose. » Car il y avait un bal, un petit bal inavoué, sournois ; mais enfin c’est le premier bal, et il faut bien le célébrer. La reine de la fête était la nièce de lady Normanby, la belle miss Bar… ; des traits purs et réguliers, des yeux noirs et magnifiques, une pâleur rosée, une taille noble et gracieuse, et dix-sept ans, tels sont ses titres à la royauté de la saison.

On annonce un grand bal aux Tuileries pour le 13. Mais que l’hiver est triste ! La grippe envahit toutes les demeures ; les salons politiques et diplomatiques sont fermés ; plus de causeries ; on se réunit pour gémir ; c’est le seul plaisir qu’on ose se permettre, et quel plaisir ! Les amis empressés vous apportent des boules de gomme et de la pâte de guimauve. Voilà les seules galanteries du moment. À propos, nous devons vous dénoncer les bonbons à la mode pour les étrennes de cette année : ce sont tout bonnement des sacrilèges sucrés. Ils représentent la sainte Vierge et l’enfant Jésus. La devise qui accompagne chacun de ces bonbons dévots est une prière fervente : « Sainte mère du Christ !… Ô Vierge immaculée !… » Quelle ingénieuse idée, faire sa prière en croquant des bonbons, faire son salut en grignotant… quelle piété raffinée ! quel progrès ascétique ! Eh bien, Molière avait pressenti ce progrès, il avait