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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Dieu, c’est une petite couturière inconnue… » Même réponse ! Deux merveilleuses s’entendaient pour nous tromper… « Comment la nommez-vous, cette inconnue ? » On feignit de ne pas nous entendre, et, pour détourner notre attention, on reprit : « Et la robe de ma nièce, la trouvez-vous jolie ? » La jeune fille entra heureusement ; elle seule pouvait nous éclairer : l’innocence est lumineuse. Pendant que la jeune femme examinait la fraîche et modeste parure destinée à sa nièce, la jeune fille nous dit tout bas : « Vous pouvez me rendre un grand service : dites à ma tante que ma robe est trop simple, et que, pour cette grande fête, il faudrait mettre un bouquet à la place de ce gros nœud. La couturière disait hier que cela serait beaucoup plus élégant. — Mais, moi, j’en crois plutôt madame votre tante. Les couturières ont quelquefois très-mauvais goût. — Les autres, peut-être ; mais madame Marie a meilleur goût que tout le monde. » — Madame Marie !… c’est le nom que l’on vous cache. Le but de cette ruse est d’avoir tout l’hiver, à moitié prix, des parures dignes de mademoiselle Palmyre, et des garnitures de robe toujours nouvelles que les élégantes de seconde classe ne pourront jamais imiter ; et cette ruse n’est pas la seule, employée cette année par les femmes pour dérouter les malheureuses élégantes à la suite, les femmes de province crédules, les châtelaines attardées. Si vous saviez jusqu’où vont ces perfidies, vous seriez épouvanté. Pour écrire un feuilleton de modes aujourd’hui, il faudrait l’esprit de M. de Talleyrand et la profondeur de Machiavel ; ce ne sont que pièges et trahisons. Si, pour vous instruire, vous avez le malheur de faire une question, vous obtenez un affreux mensonge et vous tombez dans un abîme d’erreurs.

Une mère de famille arrive de la campagne, où elle a fait de violentes économies pendant l’été. Elle vient passer à Paris quatre mois pénibles, achetés par mille privations, dans l’espoir de marier ses trois filles ; elle va dîner chez une de ses parentes ; le soir, la jeune duchesse de *** vient faire une visite dans cette maison. « Oh ! madame la duchesse, dit la mère de famille, vous qui êtes une femme à la mode, dites-moi, je vous prie, comment fait-on les chapeaux cette année ? — On les fait très-grands, très-évasés, énormes. — Je vous