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LE VICOMTE DE LAUNAY.

d’un plaisir qu’il attendait ; mais chacun a compris qu’on ne pouvait pas se commettre avec les petits acteurs d’un petit théâtre, lorsqu’on avait l’honneur d’être rat de l’Académie royale de musique.

La comédie des singes a eu beaucoup de succès ; l’homme à la poupée avait de grands admirateurs. La sibylle a été souvent consultée ; le chemin de fer sur lequel on est poursuivi par un homme à cheval (ce qui nous a paru étrange) avait aussi des amateurs. On admirait ces troubadours errant dans la prairie : il y en avait de toutes les couleurs, l’un était vert-émeraude liséré de rouge, l’autre était violet liséré de jaune ; il y en avait un, abricot doré, qui avait l’air de descendre d’une pendule. Un estimateur disait : « Il y a bien là pour cent écus de troubadours, au moins. » On admirait ces grands palmiers à lanternes qui éclairaient tout un côté du jardin ; on admirait surtout la belle salle de bal, si élégante, si riche, décorée avec tant de goût ; et, tout en admirant, on s’écriait : « Quel dommage qu’il fasse si froid, et qu’il y ait si peu de monde ! Et pourtant il y avait là tout Paris, le Paris élégant qui donne la mode, celui que tous les autres Paris cherchent à imiter, le monde exceptionnel, le monde choisi, le grand monde enfin. Mais ce grand monde est malheureusement le moins nombreux, et dans une fête champêtre la qualité ne tient pas lieu de la quantité. Bref, cela n’était que charmant ; mais si le temps l’avait permis, cela aurait été magnifique.

Nous avons entendu nette semaine un opéra délicieux, enchanteur, poëme adorable, brillant d’esprit et de gaieté, musique admirable, spirituelle comme le poëme ; tout le monde était ravi, on applaudissait avec transport, on riait avec délices ; tous les morceaux étaient jolis : ceux-ci, d’une grande et belle facture, avaient de ces chants larges et mélodieux que Rossini n’eût point désavoués ; ceux-là avaient la douce tristesse des plaintes amoureuses de Bellini ; d’autres étaient terribles, d’autres étaient moqueurs ; tous les styles italiens étaient rappelés avec un rare bonheur, car toutes ces imitations étaient des créations : c’est le contraire de ce que font nos auteurs modernes, dont les créations ne sont que des imitations. Le succès fut si grand, que l’on demanda une seconde représen-