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LE VICOMTE DE LAUNAY.

compliquée d’une crise nerveuse et ministérielle. Cela rappelle ce mot de Gérard de Nerval. Lui aussi avait été confié un peu trop tôt aux soins du docteur Blanche. Quand on lui demandait : « Qu’avez-vous eu ? » il répondait : « Une fièvre chaude compliquée de médecins. » Or M. Villemain avait eu pour le secourir cinq médecins et huit ministres : on aurait succombé à moins. Nous venons de lire ce billet charmant écrit par lui à une de ses anciennes amies ; elle lui avait prêté les poésies d’André Chénier ; elle demeure près de la maison qu’il habite :

« Madame, un académicien malade, qui ne lit plus de vers et ne sait plus par cœur que les vôtres, se fait scrupule de garder ce volume que vous lui avez prêté il y a quelques mois. Il a l’honneur de le faire remettre à votre porte, inutilement voisine de la sienne ; et il saisit cette occasion de vous offrir l’hommage de son respect et l’assurance qu’il n’est mort ou imbécile qu’officiellement. »

Dans ces quelques mots, il y a de tout : une flatterie volontairement exagérée, un regret affectueux et triste, une formule très-respectueuse, une épigramme très-mordante ; ce sont bien là tous symptômes de raison, ou nous ne nous y connaissons plus.

On se querelle, on se bat pour aller jeudi à l’Académie. La réunion sera des plus complètes, il y aura là toutes les admiratrices de M. Victor Hugo ; il y aura là toutes les protectrices de M. Sainte-Beuve, c’est-à-dire toutes les lettrées du parti classique. Qui nous expliquera ce mystère ? Comment se fait-il que M. Sainte-Beuve, dont nous apprécions le talent incontestable, mais que tout le monde a connu jadis républicain et romantique forcené, soit aujourd’hui le favori de tous les salons ultra-monarchiques et classiquissimes, et de toutes les spirituelles femmes qui règnent dans ces salons ? On répond à cela : « Il a abjuré… » Belle raison ! Est-ce que les femmes doivent jamais venir en aide à ceux qui abjurent ? La véritable mission des femmes, au contraire, est de secourir ceux qui luttent seuls et désespérément ; leur devoir, d’assister les héroïsmes en détresse. Il ne leur est permis de courir qu’après les persécutés ; qu’elles jettent leurs plus doux regards, leurs rubans, leurs bouquets, au chevalier blessé dans l’arène, mais qu’elles