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LETTRES PARISIENNES (1845).

Cette confidence imprimée nous semble assez inconvenante. Nous comprenons que des parents sentent leurs regrets adoucis en pensant que la personne qu’ils pleurent est morte en paix avec le ciel ; mais nous ne comprenons pas qu’ils fassent part à tout le monde de cette sainte consolation, et qu’ils chargent une compagnie ou un office de publicité de répandre cette bonne nouvelle dans la société parisienne. Cette fausse dévotion, toute de vanité, nous déplaît autant que l’ironie voltairienne. N’avons-nous donc à choisir qu’entre les hypocrites et les impies ? Eh bien, nous aimons encore mieux ceux-ci ; on peut du moins les convertir ; et puis ils ne font de tort qu’à l’impiété, ce qui est indifférent ; les autres font du tort à la religion elle-même, c’est plus dangereux. Ils sont comme les républicains, qui compromettent la république et qui empêchent depuis cinquante ans que le grand règne de la liberté n’advienne. La religion ! la religion ! quelles nobles et belles choses ! et quel dommage que les intrigants, les envieux et les ambitieux soient toujours les premiers à comprendre la beauté et la noblesse des choses !

Essayons un commérage sur les bêtes féroces. À la dernière représentation de Carter, vers la fin du premier acte, au moment où l’Égyptien lutte avec le lion du désert, la toile, trop hâtive, est tombée sur la crinière du lion. Sa terrible tête et ses deux pattes de devant restèrent sur la scène : il avait l’air d’un chenet vivant et menaçant. Le roi du désert attendait avec patience qu’on vînt le délivrer, et le chef d’orchestre, pour le distraire des ennuis de cette demi-captivité, jouait avec lui, lui donnant de petits coups d’archet sur le nez, et l’animal intelligent répondait à ces coquettes agaceries par un gracieux sourire qui ne laissait pas d’être formidable. Cette scène improvisée eut un immense succès dans la salle, et pourtant, quoi de plus triste ? Ô décadence ! les lions qui entendent la plaisanterie ! Où allons-nous ?

M. Villemain est tout à fait guéri et plus spirituel que jamais, si spirituel même que tout le monde ne veut pas encore convenir qu’il soit complètement guéri : il y a des gens qui ont intérêt à faire croire que les choses piquantes qu’il dit sont un reste d’égarement. Qu’avait-il donc ? — Une fièvre cérébrale