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LETTRES PARISIENNES (1840).

les arbres et qu’on avait à peine le temps de ravir à sa fureur. Mesdames les patronnesses s’affligeaient bien plus encore, de leur côté, car elles pensaient aux malheureux que cette fête devait soulager, et elles voyaient dans ce désastre ce qui est plus triste qu’un plaisir perdu, un bienfait manqué.

Les gémissements étaient entremêlés de délibérations et de réclamations ; les musiciens, que l’on renvoyait, exigeaient le prix de leur soirée. Après une heure de discussion, un homme d’esprit trouva un moyen de mettre tout le monde d’accord. « Ces messieurs ont raison, dit-il ; nous les avons retenus pour toute la soirée, nous ne devons rien changer à nos engagements ; mais comme ils doivent aussi tenir les leurs, ils vont jouer dans le jardin toute la soirée, ainsi que cela a été convenu. » Or, dans le jardin, l’eau tombait par torrents, l’herbe était trempée, l’ouragan renversait les arbres… il n’y avait pas moyen d’être longtemps artiste dans ce charmant séjour.

Les musiciens comprirent qu’un engagement qu’ils ne pouvaient remplir eux-mêmes était naturellement rompu, et ils se résignèrent à recevoir le tiers du prix qu’ils demandaient. La fête, remise au lendemain, a eu lieu ; mais ce n’était plus la même fête. Le lendemain de ce cruel orage, il faisait froid ; les mères prudentes avaient gardé chez elles leurs enfants. À peine voyait-on quelques jolies petites filles errer sur le gazon. Le bal d’enfants, qui devait être si charmant, dont les préparatifs avaient été ordonnés avec tant d’intelligence, n’a pu avoir lieu. Le petit ballet qui devait ouvrir le bal d’enfants n’a pas eu lieu non plus ; mais cela tient à un scrupule de convenance d’une indéfinissable délicatesse qui mérite d’être appréciée par tout le monde. Une troupe d’enfants costumés, faisant partie du corps des ballets de l’Opéra (cela s’appelle des rats), devait danser un pas et commencer le bal d’une façon brillante ; comme les quadrilles allaient se former, une autre troupe d’enfants costumés se présente… D’où viennent ces enfants ? Ce ne sont pas des rats de l’Opéra… non… Ce sont des acteurs de M. Comte. — « Nous ne dansons plus ! disent aussitôt les mères indignées en emmenant leurs rats ; nos enfants ne sont pas faits pour figurer à côté de ceux de M. Comte ! » — Ce juste sentiment d’orgueil a privé le public