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LE VICOMTE DE LAUNAY.

leur plaire qu’on se livre à ces bavardages insipides ; non, c’est pour plaire aux hommes instruits, sérieux ; ils aiment passionnément ce genre de conversation, et ils y excellent ; c’est une justice que nous devons leur rendre : leur commérage est gracieux, léger, badin. Celui des femmes, au contraire, est amer, lourd, triste, fatal ; il conduit les hommes sur le pré ; il conduirait les femmes en cour d’assises, si les procureurs généraux les entendaient ; on voit bien qu’elles n’en font plus par goût et pour elles-mêmes, et que, si elles daignent encore s’y abandonner quelquefois, c’est par complaisance, par dévouement.

Nous ne plaisantons pas, ceci est le fruit de profondes observations : plus les hommes sont sérieux, plus ils s’amusent de billevesées. Pour divertir ces esprits-là, il faut de tout petits commérages, des historiettes à noms propres, de longs détails sur des niaiseries, des personnalités sur des inconnus, des particularités sur des imbéciles, de menues calomnies, un propos insignifiant répété et minutieusement commenté, une balourdise échappée à celui-ci, un quasi bon mot attribue à celui-là, des calembours contre un tel, des quolibets contre un autre, des sobriquets contre tous.

Voyez les journaux d’hommes, ceux que s’arrachent les habitués des clubs et des cafés… le Charivari, le Satan, etc., etc. Ils sont tous entièrement remplis de commérages, et ils doivent leur vogue à cette abondance, à cette générosité, à cette prodigalité de commérages. Les rédacteurs de ces malins journaux se croient obligés de mêler à ces commérages beaucoup d’esprit ; folle erreur ! Ils se font grand tort par ce mélange. Les lecteurs ne tiennent pas du tout à l’esprit ; c’est un ingrédient d’un goût trop relevé, qui ôte au commérage sa saveur naturelle : l’esprit les trouble ; quand ils voient qu’il y a quelque chose de fin à comprendre, ça les déroute, ça les fatigue ; un joli mot à saisir, c’est un travail, c’est un souci, c’est quelquefois un piège, et les hommes sérieux n’aiment pas les plaisirs pénibles. Plus ils sont graves dans leurs études et dans leurs affaires, plus ils veulent être naïfs et indolents dans leurs récréations ; cela explique pourquoi, tandis que les femmes frivoles cherchent des distractions violentes dans les romans