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LETTRES PARISIENNES (1845).

nocturne contre le jeune dandy n’était qu’un roman, le malfaiteur n’était qu’un rival. Nous avions tort d’avoir peur, nous avions tort d’avoir pitié ; il n’y a plus d’assassins, il n’y a jamais eu d’assassins ; qui donc a osé dire qu’il y avait des assassins ? Le malheureux qui viendrait raconter aujourd’hui dans un café, dans un club, que des voleurs l’ont attaqué serait accueilli par d’impitoyables éclats de rire ; il montrerait ses blessures, on rirait ; il étancherait son sang, on rirait ; il tomberait évanoui, on rirait encore ; il mourrait, on rirait toujours. On est en train de confiance, c’est la veine, il faut l’épuiser. Les brigands auront beau jeu, pendant quelque temps du moins ; on ne croit plus à eux. — A-t-on sujet d’être rassuré ? — Non ; mais on ne veut plus craindre. — Il y a toujours du danger ? — Oui ; mais on n’y pense plus. — Et pourquoi n’y pense-t-on plus ? — Parce qu’on y a pensé et qu’on ne peut pourtant pas s’occuper toujours de la même chose.

Certes, rien ne ressemble moins à une ville en alarme que Paris en ce moment ; excepté quelques ministériels, personne n’a l’air inquiet. On ne songe qu’à s’amuser. Dès huit heures du soir, toutes les femmes sont en guirlandes ; et les voilà causant toutes ensemble du bal où elles sont allées la veille, du bal où elles doivent aller le soir même, du bal où elles iront le lendemain. « Il faisait bien chaud hier chez madame X… — Il fera bien plus chaud encore ce soir chez madame Y… — Et demain donc, comme il va faire chaud chez madame Z… ; on étouffera. — On a dansé la mazurka chez madame X… — On la dansera probablement ce soir chez madame Y… — On la dansera très-certainement demain chez madame Z…, qui la danse à merveille. La femme à la mode, la jolie princesse de ***, était hier chez madame X… — Elle doit aller aussi ce soir chez madame Y… — On la verra sûrement demain chez madame Z…, qui est sa cousine… » La conversation se soutient de la sorte jusqu’à l’heure du bal, heure impatiemment attendue, bal brillant où les aimables causeuses vont chercher de nouveaux éléments pour la conversation du lendemain.

Ces danses et ces valses continuelles donnent le vertige même à ceux qui ne dansent pas. L’éclat des lustres et des diamants