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LE VICOMTE DE LAUNAY.


ANNÉE 1845.


LETTRE PREMIÈRE.

Paris est rassuré. — Conversation avant le bal. — Un bal de rivales. — On danse entre ennemies. — Les Bédouins aux Tuileries. — Fâcheuse influence des femmes en littérature.
25 janvier 1845.

Ô l’amusant pays que le nôtre ! Avec quelle admirable facilité il passe de la crainte la plus vive à la confiance la plus paisible ! Là voilà, cette séduisante légèreté des Français que nous avons toujours vainement cherché à reconnaître ; elle n’est point dans leur esprit, dans leurs goûts, ni dans leurs plaisirs ; elle est toute dans leurs sentiments. Haïr aujourd’hui ce qu’on adorait hier, blâmer ce soir ce qu’on admirait ce matin, fuir maintenant ce qu’on poursuivait naguère, rire de ce qui a fait pleurer et se jouer de ce qui a fait frémir ; cela peut bien s’appeler de la légèreté, et c’est de cette manière-là seulement que les Français sont légers. Il y a un mois, nous vous l’avons dit, Paris était dans la stupeur, on ne parlait que d’assassins, on ne voyait que des victimes ; telle femme était tombée suffoquée par un affreux masque de poix, tel jeune homme avait été frappé de dix coups de stylet, à celle-ci on avait pris son argent, à celle-là on avait volé sa chaîne et sa montre ; et chacun se récriait, s’épouvantait, s’indignait ; on plaignait les infortunés, on maudissait les autorités ; on tremblait pour ses amis et pour soi-même, et l’on s’armait de couteaux et de poignards malgré la loi, malgré cette sage loi qu’on peut formuler par les deux mots : Défense de se défendre. Eh bien, aujourd’hui, de toute cette belle peur il ne reste rien, absolument rien ; on nous a repris, l’une après l’autre, toutes ces affreuses nouvelles qu’on nous avait données. Le masque de poix était une invention ingénieuse, il cachait une intrigue déguisée en victime, ; l’attaque