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LETTRES PARISIENNES (1844).

jargon du grand monde, on appelle homme bien élevé, c’est-à-dire un homme aux principes solides et aux manières souples, délicat comme une petite-maîtresse, et cependant aguerri comme un vieux troupier, nourri dès l’enfance dans la religion de toutes les saintes choses, dans la haine de l’égoïsme brutal. Cet homme-là peut naître dans tous les rangs, à la cour et chez le peuple, et il agit partout de la même façon ; il marche dans tous les chemins du même pas, ayant toujours le bon plaisir des autres pour guide, le respect de lui-même pour frein. Tel est celui que nous faisons souffrir à toute heure par nos usages grossiers, où se trahit si franchement une personnalité rapace. Dites, maintenant que vous le connaissez, dites si nous n’avons pas raison de proclamer que l’homme bien élevé est la victime de ce siècle.

Ce feuilleton est notre dernier feuilleton sentencieux. Paris se réveille. L’Opéra a voulu ouvrir glorieusement la nouvelle session des plaisirs. Nous étions hier à la première représentation de Marie Stuart ; la salle était superbe : il y avait beaucoup de jolies femmes en grande parure, un vrai public d’hiver. Les calorifères n’avaient pas été allumés, mais toutes les portes avaient été enlevées, c’était l’excuse ; à quoi bon faire du feu quand le vent souffle de tous côtés par rafales ? On n’avait pas non plus balayé les corridors ; c’était une attention délicate : la poussière absorbe la neige. Le débutant a une voix charmante : quel dommage à l’Opéra ! Madame Dorus, dans le rôle d’Élisabeth, s’est permis force roulades peu historiques. L’apparition de madame Stolz dans le quatrième acte de Marie Stuart a été un magnifique triomphe… pour mademoiselle Rachel ! Mais aussi quel orgueil ridicule ! Oser jouer Marie Stuart après mademoiselle Rachel ! C’est comme si on osait jouer la Favorite après madame Stolz ! Nous pourrons vous parler bientôt des modes nouvelles, des brillantes fêtes projetées. Nos élégants et nos élégantes reviennent ; peut-être allons-nous les retrouver sans défauts ; peut-être ne les avons-nous jugés si sévèrement que par dépit de leur absence.