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LETTRES PARISIENNES (1840).

Eh bien, ces amis-là font le désespoir de notre vie. Nous passons nos jours à les défendre. À cause de leurs fautes ? — Oh ! non pas, mais bien au contraire à cause de leurs plus belles actions, de leurs plus purs sentiments ; actions si nobles, qu’elles dépassent tous les rêves ; sentiments si saintement voilés, qu’ils échappent à tous les regards. Il est triste, n’est-ce pas, d’avoir à justifier ce qu’on admire ? Mais aussi, qu’elle est profonde notre joie, qu’il est vif notre orgueil, lorsque, après un plaidoyer chaleureux rendu éloquent par la puissance d’une si merveilleuse vérité, nous parvenons à arracher aux accusateurs convertis ce cri d’une admiration étonnée : « Quoi ! cela s’est passé ainsi ? Je n’en savais rien, mais c’est superbe ! » Alors nous répétons avec le poëte :

C’est que de tels efforts si grandement sublimes,
Si monstrueux en bien, ressemblent à des crimes !
Le monde est effrayé des trop beaux sentiments.
Il voit dans leur excès d’affreux égarements,
Il ne peut les comprendre : il juge de sa place.

Et il ne faut pas vraiment lui en vouloir, à ce pauvre monde, s’il ne devine pas ces choses-là ; d’abord, on l’a fort peu accoutumé à les soupçonner, à les reconnaître ; et puis, on n’a qu’une pensée, c’est de les lui dérober. Les gens doués de cette fâcheuse qualité dont nous parlons sont remplis d’une si noble dissimulation ! Comment pourrait-on jamais les comprendre et les forcer à s’expliquer ? Ils mettent toute leur délicatesse à cacher leur délicatesse.

On pourrait conclure de ces deux principes : « Les défauts servent et les qualités nuisent, » qu’il est affreux de vivre dans le monde, et que rien n’est plus désolant à observer qu’une société où le mal a tant de succès, où le bien a tant de revers. On se tromperait. Cette étude est, au contraire, une source de consolations très-douces. Pour un homme de cœur, il est beau de dire : « Ce qui est mal réussit… et je ne veux pas réussir. Je n’ai, pour arriver au but, qu’une petite mauvaise action à faire, pas très-mauvaise encore… eh bien, je ne la ferai pas ! Il ne s’agit que d’être un peu lâche un seul instant pour être très-heureux toujours… eh bien, je ne veux pas être lâche ! Il s’agit de mentir une fois pour obtenir ce que je rêve… eh bien,