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LE VICOMTE DE LAUNAY.

toujours quittées pour de vieilles femmes qui en mettent trop. » Et la prédiction s’accomplit. La femme vertueuse, mais pâle, fut trahie par son mari, quelques mois après, indignement trahie pour une femme horriblement fanée, mais toujours très-parée, très-endimanchée et surtout très-panachée. Cet apologue signifie qu’une supériorité sottement négligée ne vaut pas une médiocrité adroitement cultivée. Dans un monde où l’apparence est tout, le fond est moins important que la forme ; dans un bal, les diamants, bruts feraient moins d’effet que des diamants faux bien taillés et montés à la dernière mode.

Mais ici le diamant n’est pas faux, et c’est du fond même que naît la grâce de la forme : c’est de la valeur réelle que provient l’apparente beauté, cette beauté de toutes les actions que peuvent également posséder toutes les femmes. C’est pourquoi nous persistons à déclarer que le premier devoir d’une femme est d’être jolie, jolie par égard pour ses parents et ses amis, jolie par respect pour elle-même. Ce devoir rigoureux consiste à chercher à plaire à tout le monde : c’est une sorte de charité, une charité de salon qui a bien aussi son mérite. Préparer à ceux qui dépendent de nous d’agréables heures, leur épargner d’insupportables ennuis, arracher de leur chemin les broussailles, écarter de leurs pas les cailloux, leur offrir au logis un asile toujours élégamment hospitalier, leur tendre une affectueuse main toujours doucement parfumée, les recevoir avec un sourire toujours gracieux, une parure toujours fraîche, soin puéril qui cependant signifie : Je vous attends toujours ; rendre du courage à un vieux père qu’effraye la vieillesse ; donner de la patience à un jeune mari que révolte une injustice ; rendre l’inspiration à un poëte ennuyé ; amuser un enfant malade ; envoyer des fleurs odorantes à un aveugle, de belles gravures à un sourd, d’excellents cigares à un paresseux, des romans nouveaux à un goutteux ; consoler l’infirmité de celui-ci, flatter la manie de celui-là, vivre pour plaire enfin, agir pour paraître charmante, et de cette ardeur séductrice faire un bien-être pour chacun, c’est aussi remplir une belle mission. Cela vaut mieux peut-être que de se maintenir toujours maussade par fausse vertu, que d’être toujours malpropre et mal mise par détachement des vanités humaines,