Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
LE VICOMTE DE LAUNAY.

des athéricères dont les fissirostres font leur nourriture, et qui marmotte déjà tous les ennuyeux grands mots de la physique, de l’entomologie, de l’ornithologie ?

Jadis, les parents ne se piquaient point de tendresse ; ils n’embrassaient leurs enfants que le dimanche. On amenait à madame la marquise ses deux fils dans son cabinet de toilette pendant qu’elle se faisait accommoder ; elle tendait la main droite à l’aîné, la main gauche au plus jeune ; ils baisaient chacun cette main respectueusement, sans prononcer une parole, et puis l’abbé les emmenait, et tout était dit pour l’amour maternel jusqu’au dimanche suivant. Les enfants, à cette époque, ne voyaient jamais leurs mères qu’à travers un nuage de poudre et que dans une gloire parfumée ; aussi tremblaient-ils devant elles jusqu’à leur dernier jour, jusque dans leur propre vieillesse. Si la tendresse maternelle n’avait plus rien de sa douceur, l’autorité maternelle conservait du moins toute sa force et tout son prestige, et les enfants ainsi élevés étaient de braves gentilshommes pleins d’intelligence et de cœur.

Aujourd’hui, les mères sont des amies, des divinités familières, des providences domestiques, que l’on peut implorer à tout instant, qui vous secourent au moindre danger, qui vous assistent au moindre doute, qui écartent avec empressement de votre destin les obstacles et les ennuis, c’est-à-dire qui vous ôtent tout caractère, toute initiative, toute énergie ; et les enfants élevés ainsi seront sans doute de petits messieurs très-heureux, mais certes ils ne seront jamais de braves gentilshommes pleins d’intelligence et de cœur.

Écarter les obstacles et les ennuis ! Ô démence ! il faudrait les créer s’ils ne se présentaient pas. La lutte, la lutte, c’est la vie ; le jour où l’on a cessé de lutter, on a cessé d’exister. Le travail lui-même n’est qu’un combat, ne l’appelez pas un plaisir. L’art ?… c’est un duel avec la nature ; chaque œuvre enfantée est une bataille gagnée. Ne supprimez pas la difficulté, elle fait la force ; l’obstacle est toujours généreux. Ne supprimez pas la rime pour affranchir le génie, car c’est la rime mesquine et taquine qui fait le poëte inspiré et admiré ; la rime est la fée bienfaisante à qui il doit tous ses dons ; elle enflamme son esprit en l’irritant : semblable au banderillero, elle excite