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LETTRES PARISIENNES (1844).

a subi de fâcheuses améliorations ; lui aussi il a connu les tristes avantages de l’éducation perfectionnée. Depuis qu’on a enseigné aux femmes à être mères, l’amour maternel a perdu ce qui faisait sa force et son excellence, il a perdu l’instinct. Les conseils des moralistes ont remplacé l’inspiration divine, plus connue sous le nom de voix de la nature ; et les femmes que leur amour intelligent aurait le plus heureusement guidées, le plus lumineusement éclairées, se sont fait violence pour suivre la mode de leur temps, et elles ont élevé leurs fils et leurs filles selon le système généralement adopté. Et Pierre l’indolent a reçu la même éducation que Paul le turbulent, et Sophie la timide a écouté les mêmes sermons que Joséphine l’orgueilleuse ; et comme le système tout formulé était très-facile à appliquer, on l’a appliqué tout de suite dès l’âge le plus tendre. Les méthodes sont si parfaites aujourd’hui, les moyens d’enseignement sont tellement simplifiés, mon Dieu ! que tout effort est épargné aux enfants ; ils étudient en jouant. Il y a une manière d’enseigner à lire en quinze jours ; un enfant peut apprendre à écrire en deux mois, à compter en trois semaines, à déchiffrer de la musique en quelques heures, et tout cela sans ennui, sans travail, sans dégoût, en s’amusant, vous dis-je ! On a supprimé tout ce qui fatiguait ces pauvres petits cerveaux ; les méthodes nouvelles sont merveilleuses ; on a trouvé le secret de rendre le travail si facile, que les enfants savent tout sans se donner la peine de rien apprendre.

C’est pourtant la vérité, on a trouvé ce secret-là… mais ce secret-là est fatal.

Ils ont supprimé l’effort… et ils crient au miracle… et ils n’ont pas encore découvert que c’est précisément de l’effort que naît la vigueur de l’esprit. Car ce qui fait l’intelligence fertile, ce n’est pas le savoir, c’est le travail ; ce qui fait la terre féconde, ce n’est pas la semence, c’est la culture.

Celui qui ne sait qu’une chose, et qui s’est donné beaucoup de peine pour l’étudier, sait plus que celui qui a appris beaucoup de choses sans peine et sans volonté.

On oublie vite ce qu’on a appris.

On n’oublie jamais ce qu’on a trouvé.