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LE VICOMTE DE LAUNAY.

d’élégance, et nous n’aurons plus qu’à le vanter. Mais aujourd’hui, quelle confusion ! quel amalgame ! que ces chiffons dépareillés sont étranges ! Ce chapeau ex-bleu, qui était charmant avec un joli mantelet de gros de Naples blanc qui n’est plus, est affreux avec cette écharpe rouge ; cette capote lilas a perdu son voile léger, elle est triste et pâle depuis cette perte. Cette robe de soie a laissé tous ses nœuds dans une périlleuse campagne ; ses cicatrices régulières attestent ses blessures. Et puis, quelles inventions ! que ces coiffures de fantaisie sont prétentieuses ! Pourquoi ces fanchons savoyardes faites avec des mouchoirs turcs, ces turbans blancs improvisés avec des dentelles jaunes, ces jougs de velours vert, ces dahlias de satin violet ? Ah ! coquettes Parisiennes, c’est là ce que vous avez imaginé en province ! c’est ainsi que vous avez utilisé au retour ce qui vous restait des gracieuses parures choisies au départ ! Ces inventions sont dignes de vous, et nous vous en faisons nos compliments sincères ; mais croyez-nous, n’y mettez point d’amour-propre d’auteur, et allez au plus vite chez madame Baudrand et chez mademoiselle Palmyre, les prier de vous aider dans vos compositions en vous révélant les fantaisies nouvelles. Les chapeaux déformés et les bonnets fanés sont la grande mode en ce moment, c’est vrai ; mais encore ne faut-il pas que ces chapeaux et ces bonnets soient méconnaissables. Laissez dire tout bas aux gens qui les revoient après trois mois d’absence : « Je les trouve bien changés ; » mais ne forcez pas ces gens à s’écrier indiscrètement : « Ah ! mon Dieu, que leur est-il donc arrivé ? »

Avec ces quelques élégantes récemment revenues, on rencontrait ces jours-ci force troupeaux d’écoliers ; ils étaient tout noirs et tristes ; on les promenait par la ville pour les consoler d’être rentrés en pension : c’est l’usage ; le premier jour de rentrée au collège est consacré à la promenade… Attention cruelle, délicatesse barbare, selon nous : il n’y a qu’un moyen de se consoler d’être au collège, c’est d’y travailler.

Malgré ces retours assez rares, Paris est encore dans sa chrysalide : rien n’annonce que le papillon veuille déployer ses ailes, que le fleuve d’or ait repris son cours. Les symptômes de liberté et d’abandon se font au contraire toujours remar-