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LETTRES PARISIENNES (1844).

nature et cela est impardonnable comme toutes les choses que l’on fait sans motif raisonné et sans droit.

C’est là pourtant ce qu’ont fait nos Parisiennes. Il ne s’agit pas ici de châtelaines, elles n’ont point encore quitté leurs châteaux, et la grande propriété ne permet point les intérêts mesquins ; il s’agit de la plèbe élégante, de ces charmantes prolétaires de la fashion qui sont allées demander à leurs parents, à leurs amis, à leurs rivales peut-être, un asile plus ou moins frais pendant la belle saison. Elles sont revenues, les unes pour rester toujours, les autres pour repartir bientôt, et il faut les entendre parler des plaisirs de leur été, si l’on veut savoir jusqu’où peut aller la facilité merveilleuse d’une brillante Parisienne à adopter les défauts, les ridicules, les manies de toutes les provinces qu’elle parcourt. Nous n’avons encore eu l’honneur de rencontrer que deux nouvelles arrivées, et nous avons appris déjà toutes sortes de particularités intéressantes sur deux petites villes que nous ne connaissons pas du tout ; Nous savons que la sous-préfète X… cache son âge : elle a trente-huit ans, elle s’en donne trente-deux. Elle est comme cette femme qui disait : « Trente-deux ans, c’est un âge charmant ; je les ai déjà depuis deux ans et je compte bien les avoir encore longtemps. » Bref, la sous-préfète cache son jeu aussi, car elle affecte de servir le candidat futur du gouvernement, et elle intrigue contre lui tant qu’elle peut. — Nous savons que les enfants du receveur particulier sont très-turbulents ; c’est la faute de leur mère, qui est pour eux d’une faiblesse misérable. — Nous savons de plus que madame Simonet, que nous n’avons jamais vue, élève horriblement mal sa fille ; que mademoiselle Euphrasie est très-insolente, qu’on lui laisse lire les journaux et qu’elle ne met pas un mot d’orthographe. — Nous savons aussi que madame Coutellier veut l’impossible : elle fait teindre ses vieilles robes à Paris, soit !… mais elle envoie à son correspondant une jupe de satin rose, une jupe de taffetas gris et une jupe de barége bleu, et, de tout cela, elle veut qu’on lui fasse une robe de moire noire. C’est trop fort !

Toutefois, leur conversation n’est pas ce qu’il y a de plus plaisant en elles ; c’est leur costume qui est admirable à étudier ! Dépêchons-nous d’en rire, car demain il sera plein de goût et