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LETTRES PARISIENNES (1844).

Les gens qui ont trop bien dîné la veille ;

Ceux qui ont mal dormi cette nuit ;

Les rhumes naissants ;

Les névralgies obstinées ; enfin tous les ennuis, toutes les souffrances, les humiliations, les inquiétudes, les infirmités qui rendent maussades ceux-là quelquefois, ceux-ci toujours. Ces petites misères de la vie mondaine vont se réfugier dans cet asile indulgent ; leurs plaintes étouffées se perdent dans un concert de propos insignifiants. On oublie assez vite ses chagrins auprès de gens qui les ignorent, et qui n’y prendraient aucune part s’ils venaient à les connaître. Autrefois, cette mauvaise humeur s’exhalait en famille, et l’on doublait ses ennuis en les faisant partager ; on les prolongeait aussi, malgré soi : quand on voyait une femme, une sœur, une mère s’inquiéter de vos tourments, on leur trouvait plus d’importance ; on n’osait pas s’en distraire tout de suite de peur de paraître léger ; maintenant, quand on est maussade, malade, insupportable, on va au club… Vivent les clubs ! Les clubs ne sont pas seulement l’asile des hommes mal disposés, ils servent aussi de repaire aux jeunes gens mal élevés. Les hommes très-faibles ont ce que nous appellerons le préjugé de la grossièreté ; c’est un préjugé qu’il faut sinon respecter, du moins subir avec intelligence. Tous les hommes imaginent que la brutalité, c’est la force, et ils regardent comme un devoir de jurer plusieurs fois dans la journée pour se prouver à eux-mêmes leur énergie. Le juron est le rugissement de ces gentils perroquets qui s’intitulent lions. Avouez alors qu’il est bon que ces êtres volontairement féroces aient un antre bien clos et bien chauffé, où ils puissent, à toute heure du jour, aller rugir, rugir comme Vert-Vert, avec confiance et sans contrainte. Ils sortent de là plus calmes ; ils ont fait preuve d’énergie, ils savent qu’ils peuvent être violents et grossiers quand ils veulent : ils pourront donc se permettre d’être doux et polis quand on voudra. Mais, dites-vous, ils ne sortent jamais de leurs maudits clubs. — Tant mieux ! Nous avons quelquefois entendu certains coryphées d’un certain club causer entre eux, et nous persistons à déclarer que l’institution des clubs ne saurait faire aucun tort, dans nos salons, à l’art de la conversation.