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LETTRES PARISIENNES (1844).

d’un monsieur de cire qui fait valoir des perruques. Certes, si quelque chose doit rassurer des regards inquiets, c’est la vue d’une demi-douzaine de perruques ; une tête exaltée se croit à l’abri des rêves fantastiques sous une perruque ; une perruque est un chaperon qui doit préserver des dangers d’une imagination trop ardente. Vaine erreur ! À peine avez-vous examiné une de ces fallacieuses coiffures, que vous la voyez, par un mouvement presque insensible, se lever, se lever doucement, rester un moment béante comme la mâchoire ci-dessus désignée (une perruque béante… quel phénomène !), puis se dresser toute droite et demeurer quelque temps immobile, loin, bien loin du front luisant dont elle faisait l’orgueil ! Dans quelle intention ce manège ?… vous avez peine à le comprendre. Qu’une mâchoire s’ouvre et se ferme par un moyen ingénieux, bien ; cela s’explique : le destin d’une mâchoire est d’agir ; mais le destin d’une perruque est différent, l’activité lui est défendue. Quel avantage peut-on trouver à cet adroit mécanisme ? Est-ce pour donner de l’air à la tête ? Est-ce une nouvelle manière de saluer qu’on veut mettre à la mode ? Est-ce une manière de voter ? Autrefois on opinait du bonnet ; veut-on aujourd’hui voter à perruque levée ? Qu’est-ce donc ? C’est tout simplement une manière de vous montrer la perfection du travail, la beauté du tissu ; là est le merveilleux de l’invention ; le mécanisme ne compte pas, demandez plutôt au monsieur de cire que pare cette bizarre perruque ; il n’éprouve aucune inquiétude ; sous cette coiffure mouvante, il reste calme, indifférent, impassible ; elle fait semblant de le quitter, mais il la connaît, il sait bien qu’elle va revenir, et il continue à vous sourire niaisement sans s’alarmer un seul instant des caprices bornés de l’infidèle.

À propos de perruques, hasardons une pensée qui nous tourmente depuis longtemps. Est-il rien au monde de plus pauvrement laid, de plus follement triste que cette odieuse hypocrisie que nous appellerons la perruque constitutionnelle ? La perruque Louis XIV avait un aspect grandiose ; cette coiffure était une parure ; avec ces cascades de longs cheveux tombant de chaque côté de la face, on ressemblait à un lion, et c’est toujours flatteur de ressembler à un lion. La perruque