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LE VICOMTE DE LAUNAY.

d’autre but que d’inquiéter votre esprit et d’effrayer vos regards. Ici, un cheval écorché vous présente son corps sanglant ; plusieurs cadavres sont à côté de lui, des cadavres humains, naïvement ouverts, étalant leurs hideux secrets ; puis, des cadavres d’insectes, un hanneton colossal, un colimaçon écorché… puis, régnant sur toutes ces horreurs, deux charmantes petites dames, en chapeau à plumes, expliquant ces inventions terribles avec beaucoup de grâce et de gentillesse.

Vous fuyez épouvanté… et vous tombez devant de grands mannequins, d’un rose trop vif, qui vous regardent d’un air sévère, peu en harmonie avec leurs attitudes infiniment trop gracieuses. Une femme en grand deuil préside aux ébats de ces mannequins mal élevés.

L’aspect de ces fantômes vous trouble, vous marchez vite pour vous réveiller, vous vous dites : « Je sais bien que ce sont les visions de la fièvre… » vous analysez votre mal, mais vous n’en souffrez pas moins ; pour vous remettre, vous regardez quelques jolies étoffes, de magnifiques velours, de riches satins, des broderies de fée, représentant sur un mouchoir le Rhin, ses forteresses, ses rochers, ses bateaux à vapeur, ses étudiants et ses sorcières, tout le moyen âge et l’âge nouveau ; les belles mousselines de Tarare, les superbes tapis de M. Sallandrouze, tableaux de coloriste sur lesquels on se ferait scrupule de marcher, ces charmantes étoffes d’or algériennes dont la fabrique est à Nîmes, ces soyeuses cravates anglaises dont la fabrique est à Lyon.

Vous errez çà et là et vous retrouvez un peu de calme ; mais tout à coup une vision plus singulière que les autres vient vous persuader encore que la fièvre vous tourmente. Une mâchoire mouvante est en face de vous ; elle s’ouvre et elle se ferme avec une lenteur et une régularité de mouvement effrayantes ; cette mâchoire est seule, elle n’appartient à aucune face humaine, et pourtant elle a une volonté particulière qui la fait agir. La voilà qui s’ouvre !… la voilà qui se ferme !… la voilà qui mâche… qui mâche à vide… c’est effrayant. Oh ! la fièvre ! la fièvre ! comme elle vous envoie de folles idées, comme elle vous présente d’épouvantables images !

Et toujours plus tremblant vous allez vous réfugier auprès