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LETTRES PARISIENNES (1844).

On parla encore de cent autres choses qui ne peuvent se dire dans un feuilleton, car nous n’osons pas répéter les mots piquants de nos célèbres causeurs ; en fait de malices, nous n’osons compromettre que nous, et pourtant leur brillant esprit s’échappait en vives étincelles, dont l’heureux provincial était aveuglé… Et pendant une heure ainsi, avec une vanité impitoyable, nous avons fait valoir nos amitiés illustres, nos renseignements universels et nos relations élégantes, et nous nous sentions parfaitement ridicule ; bref, nous étions mille fois plus provincial que le provincial dont nous cherchions à nous venger. Nous voudrions bien savoir ce qu’il a dit de nous et de nos amis à son cousin Tupinières.

— Eh ! eh ! nous dira-t-on, vous vous moquez beaucoup des provinciaux. — Oui… depuis quinze jours ; mais nous nous moquons des Parisiens toute l’année, c’est notre excuse.


LETTRE ONZIÈME.

Les galeries du palais de l’Industrie. — Cauchemar. — Les mannequins roses. — Une perruque qui bâille. — Le Turc-pendule. — Les portiers… en angélique.
8 juin 1844.

C’est un plaisir qui ressemble à un cauchemar à s’y méprendre. Aux sons d’une musique infernale, produite par la lutte obstinée d’instruments sonores que la concurrente a faits ennemis et que le perfectionnement fait rivaux, qui se combattent et s’imitent, ou plutôt qui se combattent en s’imitant ; car, maintenant, un instrument qui n’a pas le son d’un autre est un instrument incomplet ; aux accords discordants de cent pianos qui se détestent, qui s’attaquent et se répondent par les polkas les plus amères ; aux rauques gémissements de l’orgue, aux cliquetis métalliques des pendules taquines qui sonnent l’heure avec des valses interminables qui durent deux heures ; au bruit d’un affreux concert sans programme, confusion de tous les sons obtenus, Babel de tous les airs ennuyeusement célèbres, charivari industriel qui ferait aimer les charivaris politiques… vous pénétrez dans un séjour étrange, à la fois plein de grandeur et de puérilité, où chaque objet semble n’avoir