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LE VICOMTE DE LAUNAY.

l’étourdir complètement, nous avons mis aussitôt la conversation sur les sujets qui devaient le plus l’étonner. C’était un feu roulant de nouvelles de toutes sortes qui se croisaient, qui se pressaient, qui se contredisaient même un peu. C’étaient des histoires de magnétisme à le renverser. — Alexis ; disait l’un, a été merveilleux l’autre soir ; il a fait des prodiges ; on lui a couvert les yeux d’un quadruple bandeau, et il a joué à l’écarté, désignant ses cartes et celles de son adversaire sans se tromper une seule fois ; il a lu dans un livre, à travers ma main, toute une page que je lui cachais. — Il a deviné, dit un autre, un mot imprimé que j’avais entouré de plusieurs feuilles de papier et caché dans une enveloppe. C’est le mot ruche. Je l’avais coupé sur la couverture de la Ruche populaire qu’on m’avait envoyée le matin, en me recommandant d’y lire une lettre fort remarquable de M. de Guiche. Alexis a dépeint aussi l’appartement de M. H… et a parfaitement bien lu l’adresse d’une lettre qui se trouvait sur sa cheminée, etc., etc. — Notez bien que le provincial ne savait pas que l’on parlait magnétisme, et qu’Alexis était un somnambule célèbre. Il a pu croire que c’était l’enfant d’une personne de notre connaissance ; il a dû lui trouver des facultés bien extraordinaires.

Du magnétisme on passa au paganisme. Quelqu’un parla d’une étrange cérémonie qui se préparait : un sacrifice à Jupiter, tout bonnement. On cherche un local convenable, et on fait les études nécessaires ; on suivra les rites archaïques tels qu’ils ont été restitués par Julien l’Apostat. — Et qui fera le sacrifice ? — Douze jeunes gens qui se cotisent pour ça. — Ce sont donc des païens ! — Non. — Alors ce sont des impies ? — Pas davantage. — Et pourquoi adorent-ils Jupiter ? — Par pitié. Ils disent que ce doit être affreux pour un dieu qui a été le maître du monde pendant tant de siècles de se voir à jamais abandonné des mortels, et ils veulent du moins par quelques grains d’encens brûlés en son nom, par quelques bienveillantes victimes sacrifiées sur son autel, le consoler un peu dans sa disgrâce. — Si c’est ainsi, on ne saurait leur en vouloir ; ils encensent les faux dieux… mais par un sentiment d’humanité ; c’est être encore chrétien que d’être païen de la sorte et d’adorer Jupiter par charité évangélique.